Mari Eriksmoen enchanteresse au Festival de Beaune
Mari Eriksmoen, toute souriante et d’une simplicité immédiate vis-à-vis du public nombreux venu l’entendre, vient s’inscrire dans la porte centrale du Jubé en bois de la salle des Pôvres, tandis que son pianiste, un rien dissimulé, se trouve installé derrière elle dans la Chapelle, qui dans les temps anciens recelait au-dessus de l’autel du somptueux Polyptyque du Jugement Dernier de Rogier van den Weyden.
L’ambiance est ainsi créée au milieu des lits anciens des malades, même si les vastes volumes de la salle ne facilitent pas obligatoirement les échanges. Mais les deux artistes parviennent tout de même bien à s’entendre. Mozart occupe toute la première partie du programme. Cosi fan tutte déjà avec l’air espiègle de Despina « In uomini, in soldati » enlevé avec esprit, puis le terrible « Per pietà » de Fiordiligi, où la cantatrice déploie un sens dramatique affirmé et une assise vocale remarquable. Le grave s’expose de façon naturelle, sans accentuation inutile.
Suzanne paraît ensuite avec Les Noces de Figaro et l’air de l’acte IV dit des Marronniers, « Deh vieni, non tardar » dont l’interprétation par Mari Eriksmoen traduit avec finesse toute la fine psychologie et l’intelligence instinctive du personnage. Avec le « Porgi amore, qualche ristoro », air d’entrée de la Comtesse, c’est toute la détresse de la femme délaissée que la cantatrice parvient à faire transparaître. La délicatesse du phrasé, la beauté intrinsèque de l’aigu qui semble souvent comme suspendu dans le temps et l’espace, la palette des couleurs, feraient fondre les cœurs les plus endurcis. Avec l’air de concert pour colorature, « Voi avete un cor fedele », Mari Eriksmoen laisse libre champ à son énergie et aux flots de vocalises toujours exactes. Cet air difficile lui permet de souligner les sentiments contradictoires évoqués par le texte inspiré de Goldoni.
Haendel occupe toute la seconde partie du programme avec des airs très connus du public comme « Lascia chi’o pianga » extrait de Rinaldo ou beaucoup plus rare comme « Amarti si vorrei », air sublime tiré du Teseo créé à Londres en 1713. L’air de Cléopâtre issu du troisième acte de Jules César en Égypte « Da tempeste, il legno infranto », permet à la cantatrice de libérer tous ses moyens vocaux avec fougue et même rage, tandis que de l’oratorio de 1747, Joshua, parvient l’air plus délicat de la soprano de la seconde partie de l’ouvrage, « Oh, had I jubal’s lyre ». Toutes les facettes de l’artiste sont ici mises à l’honneur, avec ce timbre tout de clarté et de sensibilité, cet aigu lumineux et faussement fragile.
La complicité profonde des deux artistes se ressent sans conteste dans ce programme où le pianiste, comme la cantatrice, ont fort à faire. La précision du toucher d’Antoine Palloc, son imagination jamais mise en défaut, ses connaissances à la fois scientifiques et musicales des chanteurs et de la voix, portent ici ses fruits. En bis, Mari Eriksmoen rend hommage à son pays natal et à Edvard Grieg avec deux mélodies d’une simplicité mélodique apaisante qui éloigne quelque peu du répertoire baroque.
Mari Eriksmoen retrouvera le public français au Théâtre de l’Opéra Comique en septembre prochain. Elle interprètera le rôle de Marzelline du Fidelio de Beethoven. Cette nouvelle production de l’ouvrage sera dirigée par Raphaël Pichon à la tête de son Ensemble Pygmalion, dans une mise en scène signée par Cyril Teste, avec notamment Siobhan Stagg (Leonore) et Michael Spyres (Florestan).