Une Flûte pour enchanter Beaune
Avec cette nouvelle production en version concert de La Flûte enchantée de Wolfgang Amadeus Mozart, Jérémie Rhorer fête ses 15 ans de présence au Festival de Beaune. Ces séjours apparaissent très régulièrement marqués par ses directions d’opéras du compositeur de Salzbourg, notamment avec l’ensemble Le Cercle de l’Harmonie intervenant sur instruments d’époque.
Prévue en 2020, cette Flûte a légitimement repris sa place au sein de la programmation 2021 du Festival. Après l’annulation de l’édition 2020 du fait de la pandémie, Anne Blanchard, Directrice Artistique, a renoué avec la tradition en proposant sur quatre week-ends, sept opéras ou oratorios et quatre récitals. Initialement prévue pour être présentée dans la merveilleuse Cour des Hospices, la pluie en a décidé autrement avec un rapatriement au sein de la Basilique Notre-Dame. Malgré l’étroitesse relative de la scène, tous les interprètes s’investissent avec zèle au plan scénique, dans une sorte de mise en espace bienvenue qui reflète toute la poésie et la diversité des caractères des personnages. Le baryton italien Riccardo Novaro campe ainsi un Papageno fort attachant, fantasque, mêlant avec habileté sourire et désespoir. Il déploie au plan vocal une faconde qui ravit le public. La voix est marquée par un grain sombre, mais aussi par une part de légèreté et une facilité d’ensemble qui traduisent bien le personnage.
De même, le jeune ténor léger au timbre solaire Maxime Melnik, avec quelques mimiques savoureuses et des entrées fracassantes, donne corps à un Monostatos plus vrai que nature. Le ténor Matthew Newlin irradie dans le rôle de Tamino, qu’il incarne avec une sorte de virilité inhabituelle, une clarté d’émission toute en nuances et avec une réelle puissance expressive qui donnent un peu plus de réalisme au personnage. Ses deux airs sont magnifiquement conduits avec à la clef un aigu épanoui qui emplit toute la Basilique.
Habituée du rôle de Pamina, interprétée notamment à deux reprises au Festival d’Aix-en-Provence en 2014 et 2018 auprès de Stanislas de Barbeyrac, Mari Eriksmoen se distingue par une musicalité exquise, une ligne de chant rayonnante dotée d’aigus presque impalpables voire éthérés qui transcendent le personnage. La combinaison Matthew Newlin/Mari Eriksmoen s’équilibre parfaitement et apporte au couple d’amoureux soumis aux épreuves une aura presque idéale.
Luigi Di Donato, qui se consacre beaucoup au répertoire baroque, déploie une voix de basse imposante, voire très généreuse et pourtant flexible. Les graves de Sarastro retentissent avec majesté, le legato harmonieux et d’un caractère affirmé, définissent avec autorité ce personnage savant et juste. Christina Poulitsi, remplaçant Sarah Traubel initialement prévue, s’est fait une spécialité du rôle de la Reine de la Nuit. Cette soprano colorature aborde avec aplomb et toute la virtuosité requise les deux airs redoutables dévolus au rôle. Le suraigu très facile marque les esprits. Pour autant, dans les récitatifs, elle parvient à impulser le sombre caractère du personnage.
Le baryton-basse Guilhem Worms s’impose avec pertinence dans le rôle de l’Orateur. Il en traduit avec aisance et force toute la singularité profonde. Sa voix ne cesse de se peaufiner et de s’établir pleinement. Les trois dames forment un ensemble de grande qualité et d’une harmonie qui se ressent du travail de préparation : la soprano plus aigüe (Première Dame) Gwendoline Blondeel apporte la touche de fraîcheur et Mélodie Ruvio (Troisième Dame) fait entendre une voix de contralto très épanouie qui apporte la touche indispensable de contraste.
Elena Galitskaya interprète à la fois la Seconde Dame et Papagena. Parfaite comédienne, elle insuffle à sa composition toute la subtilité requise, passant de la vieille amoureuse et à la jeune première avec éclat. Le couple Papageno/Papagena semble retrouver toute sa jeunesse avec le duo qu’elle forme avec humour avec Riccardo Novaro. Les autres rôles (les deux prêtres ou les Hommes d’armes) sont tenus avec talent et musicalité par des artistes issus du Chœur de Chambre de Namur. Il en va de même des Trois Enfants confiés à trois chanteuses émérites du Chœur. Malheureusement, placées en fond de scène, la prestation de ces dernières demeure assez lointaine à l’écoute. Après une entrée en matière toute en retenue et comme en réflexion, voire même solennelle dans l’ouverture de la Flûte, Jérémie Rhorer enflamme son orchestre et ne désarme ensuite à aucun moment.
La battue est vigoureuse, nette, d’une précision rythmique redoutable tout en laissant chaque interprète s’épanouir dans sa partie. L’autorité dont il fait preuve amène Le Cercle de l’Harmonie à se surpasser plus encore, donnant une lecture impérieuse mais sensible de La Flûte enchantée. Marquée du sceau de la sincérité, du respect pour cette partition à nulle autre pareille, l’approche de Jérémie Rhorer séduit le public de Beaune qui lui réserve, ainsi qu’à tous les interprètes présents, une large ovation amplement méritée. Mozart est une nouvelle fois fêté à Beaune !