Pelléas et Mélisande brille dans l’obscurité du non-dit à l’Opéra des Landes
Il fallait être audacieux pour proposer Pelléas et Mélisande, œuvre unique dans l’opéra français, à un public peut-être plus habitué aux opérettes légères et grandes œuvres du répertoire, mais l’Opéra des Landes relève le défi avec brio, justesse et simplicité. Chaque protagoniste est pleinement juste et impliqué dans son rôle. Non seulement les chanteurs, mais aussi la pianiste, le chef, jusqu’au responsable lumières, tous offrent une prestation sans faille, rappelant à ceux qui l’ignoraient ou l’auraient oubliée la puissance de ce chef d’œuvre.
Obligés de jongler avec les contraintes logistiques du contexte et de la météo, les organisateurs ont finalement décidé de ne pas jouer au parc de la Pandelle, pourtant très joli lieu, pour se réfugier au centre culturel Roger Hanin. Un décor sommaire et des costumes simples suffisent à suggérer l’univers du conte médiéval, dans une scénographie visiblement inspirée par les images de la création de l’œuvre, visibles en exposition pendant l’entracte. Dans une ambiance sombre, opaque, souvent pesante, une mise en scène à la fois simple et très inspirée, riche de symboliques mais sans maniérisme laisse voir des personnages très marqués. Chacun possède une gestuelle propre à sa personnalité : Arkel a la rigidité d’une statue, Golaud la démarche pesante et le geste brusque, Mélisande, quant à elle, incarne la fragilité et l’agitation intérieure, tandis que Pelléas est un adolescent tourmenté, timide, effrayé. Les personnages ne se regardent presque jamais, incarnant la puissance du non-dit, la création par l’absence.
Le travail des lumières est d’une importance capitale pour donner vie à ce texte de Maeterlinck où la lumière (ou son absence) est si prépondérante. Chaque scène est un tableau, chaque phrase un coup de pinceau, difficile de ne pas être hypnotisé par la poésie de ce spectacle.
Sous les doigts de Nathalie Dang, la partition de Debussy, dans sa version originale au piano, prend vie et s’impose, majestueuse, chatoyante, poétique. Personnage à part entière de l’opéra, c’est elle qui happe instantanément le spectateur, ne lui laissant aucun répit tout au long de la pièce. Le piano, dont le couvercle a été retiré pour servir de fontaine au décor, peut paraître un peu fort parfois, mais c’est plus souvent un soutien efficace pour les voix. Dans cet écrin, la direction vibrante et incarnée de Philippe Forget offre aux chanteurs de servir brillamment les mots de Maurice Maeterlinck. Pas une miette, pas une syllabe n’est perdue, grâce à la diction irréprochable de chacun.
Laurent Alvaro de sa voix naturellement puissante et sonore, au timbre chaud et percutant, sculpte le texte avec amour. Il incarne un Golaud particulièrement émouvant, toujours juste, sachant faire preuve d’autant de délicatesse que de dureté. Frédéric Cornille est un Pelléas fascinant, offrant un timbre clair et une technique sans défaut à une interprétation très riche, très recherchée. Manon Lamaison, malgré sa jeunesse et un léger manque d’assurance face à certaines difficultés de la partition, propose une Mélisande troublante, une voix riche qui semble couler comme une rivière lorsque l’émission est complètement libre. Des voyelles un peu trop fermées donnent parfois une certaine dureté au timbre, et la chanteuse quitte parfois son personnage mais reste tout à fait crédible dans un rôle complexe à aborder en début de carrière. Le timbre de Thomas Dear est délicieusement métallique et son Roi Arkel est d'une grande noblesse, bien s’il manque parfois de précision dans la justesse. La Geneviève de Nathalie Espallier est chaleureuse, douce, son phrasé est souple, sa voix tout en rondeur et brillance. Quant au petit Yniold, il est incarné par Faustine Egiziano au timbre clair, lumineux, et à l’émission maîtrisée. Enfin, le metteur en scène Olivier Tousis chante le Berger et le Médecin d’une belle voix mate, qui manque toutefois de vibration.