La Cenerentola, Opéra et technologie au Grange Festival
La nouvelle production du Grange Festival de La Cenerentola dirigée par David Parry et conçue par Stephen Barlow, opte pour une teinte générique du milieu du XXe siècle. Don Magnifico et ses filles sont relégués dans une caravane, avec des lits superposés et une affiche de Vacanze romane (Vacances romaines avec Gregory Peck et Audrey Hepburn), tandis que les caves du prince sont représentées comme un bar à cocktails décoré en noir et blanc.
Le chœur d'hommes (six artistes) chante juste même s'il doit ici faire beaucoup (trop) de mouvements pour son propre bien, et semble sur le point de s'écrouler dans certains numéros de chant et de danse. La scène tournante permet de nombreux changements de scène efficaces, mais a également pour effet de réduire l'espace de réverbération du son : l'acoustique sèche qui en résulte exige beaucoup des artistes, surtout dans les coloratures soutenues.
Les trois rôles de "basse" dans La Cenerentola sont ici bien différents, comme ils doivent l'être. La voix de Christian Senn est considérée comme celle d'un baryton, il déploie néanmoins la superbe du rôle de Dandini, capable à la fois d'imiter des tons princiers déguisés (qui occupent la majeure partie de la pièce) mais aussi de se glisser dans un parlando rapide et féroce comme il le fait au finale du deuxième acte. La voix polyvalente (de celui qui a aussi bien le Figaro de Rossini que le Comte de Mozart dans son répertoire) est cohérente sur toute la gamme, mais à la fois brillante au-dessus de la portée et résonnant dans le bas.
L'Alidoro de Roberto Lorenzi est pour sa part presque trop brillant pour le rôle avec des notes supérieures comme des diamants qui ne correspondent pas tout à fait aux qualités réfléchies et magiques du personnage. La voix est parfaitement adaptée en termes d'ambitus cependant, ce qui impose sa performance.
Don Magnifico est un rôle classique de basse bouffe dont Simone Alberghini dispose de toutes les qualités au besoin (richesse, assise et aisance à la fois), hormis -pour certains goûts- l'éclat d'un style de jeu et une diction capables de dépeindre davantage le vieux voyou aristocratique, malchanceux.
Les deux filles de Don Magnifico -les deux repoussantes sœurs du conte de fées- sont chantées par l'Italienne Carolina Lippo (Clorinda) et la Russe Maria Ostroukhova (Tisbe). Bien que Rossini ait écrit peu de musique solo pour les deux (et que le "Sventurata ! Me credea” n'est probablement pas de lui mais de son collègue compositeur Luca Agolini qui lui prêtait main forte dans ses cadences de compostions acharnées), les deux personnages jouent un rôle colossal dans le drame et ses ensembles. Le mezzo-soprano subtil de Maria Ostroukhova a un ton tranchant qui lui donne une voix distinctive dans les grands ensembles et se déplace de manière attrayante dans le registre inférieur avec élégance et style. Carolina Lippo a une voix très élégante, bien adaptée au bel canto rossinien, et cohérente sur toute la gamme, avec la puissance nécessaire pour dominer les textures d'ensemble quand il le faut.
Nico Darmanin et Heather Lowe jouent les deux amoureux. Le ténor déploie des qualités de star du bel canto. La voix n'est peut-être pas grande, mais dans le grand air de l'acte II "Si, ritrovarla io giuro", il fait s'envoler le spectacle avec des ornements sans effort, un registre supérieur brillant et une présence scénique révélatrice.
Mais bien sûr, le grand vol du spectacle se produit avec "Nacqui all' affanno, al pianto", le rondò final de Cenerentola. C'est le point culminant d'une magistrale interprétation du rôle par Heather Lowe, qui est revenue pour la dernière représentation de la série, en remplacement de Victoria Simmonds. Le rôle et cette prestation font appel à presque tous les styles musicaux, du rondò final à la minuscule romanza ("Una volta c'era un re") qui revient tout au long de l'opéra. Heather Lowe déploie aussi bien les tirades spectaculaires que la sentimentalité discrète avec toute une gamme de couleurs : son incursion finale dans le monde aristocratique avec le pardon de son beau-père et de ses demi-sœurs déploie la même souplesse, avec des graves sonores et des passages agiles joliment ciselés.
Mais l'aspect le plus frappant de la soirée est l'orchestre ainsi que les autres accompagnements. Les accompagnements orchestraux ont été préenregistrés par le Bournemouth Symphony Orchestra, tandis que les artistes vocaux sont dirigés et coordonnés par David Parry, qui se charge de surcroît lui-même de tous les récitatifs au clavier. S'il faut un certain temps pour s'habituer à la disparité entre l'immédiateté des accompagnements au clavier et le son plutôt voilé de l'orchestre préenregistré, la solution n'en est pas moins astucieuse et même appréciable pour relever les défis auxquels sont confrontés des organismes tels que le Grange Festival en ces temps difficiles.