Saisissante tragédie lyrique d’après Lully par Véronique Gens et Les Surprises
vidéo intégrale de ce programme capté à la Basilique de Saint-Denis
C’est en 2018, au Festival d’Ambronay, que Les Surprises et Véronique Gens collaborent pour la première fois pour faire connaître la musique baroque française à travers une lyrique tragédie composée de plusieurs extraits d’œuvres (compte-rendu à retrouver ici). Forts de cette première expérience, ils la réitèrent avec tout autant d’intelligence en proposant une nouvelle tragédie lyrique imaginaire, Back to Lully pour orchestre et soprano soliste, en cinq actes (comme il se doit) autour de l’œuvre de Jean-Baptiste Lully et de ses contemporains. Le résultat se caractérise véritablement par le terme de tragédie, évoquant la mère éplorée, l’abandon, l’appel des enfers, le sommeil serein qui mène vers la funeste mort et enfin la furie des esprits d’outre-tombe.
Ce soir donc, à l’Opéra de Massy, la soprano Véronique Gens est la seule soliste de cet opéra très français, incarnant le personnage principal avec aisance, de sa taille haute et fine. Dès son premier air « Désir, transports » extrait de la Circé d'Henry Desmarest, elle fait immédiatement preuve de son soin délicat de la langue française, dont elle est une experte de la prononciation. Son vibrato aide à sa projection qui gagne, au fur et mesure de la soirée, en intensité. Grâce à sa conscience du texte, ses récitatifs sont toujours très convaincants, comme celui de l’air « Enfin il est en ma puissance » d’Armide de Lully, faisant preuve d’une expressivité légèrement retenue mais authentique. La soprano se montre ainsi touchante dans « Espoir si cher et si doux » d’Atys ou dans le sublime air de la Nuit « Voici le favorable temps » du Triomphe de l’Amour. Outre la richesse de son timbre dans tous les registres, l'auditeur apprécie la chaleur de ses graves, suffisamment sonores. Véronique Gens sait également démontrer une présence intense notamment lors de « Noires filles du Styx » de la Médée de Marc-Antoine Charpentier.
La soprano est soutenue par l’ensemble Les Surprises qui, sous la direction aussi tonique que sensible de Louis-Noël Bestion de Camboulas, fait preuve de reliefs, avec une intéressante conscience des rythmes et des mesures, sans jamais tomber dans le spectacle excessif et gratuit. Les moments de tempête sont certes impressionnants, les premiers coups de tonnerre de la grosse caisse pour la Tempête extraite de Thétis et Pélée de Pascal Collasse surprenant d’ailleurs plus d’un spectateur. Ces numéros saisissant de virtuosité, avec d’autres partitions de danses énergiques, n’empêchent pas d’autres parties plus tendres, voire émouvantes, particulièrement lorsque le consort de flûtes se joint au trio des basses de violon pour la sarabande Dieux des Enfers du Ballet de la naissance de Vénus de Lully ou de l’air de la Nuit précédemment cité. Bien que les airs soient extraits d’œuvres différentes et écrites par des compositeurs différents, jamais l'ensemble ne donne l’impression d’un discours artificiellement cousu, les transitions paraissant très souvent naturelles. Certes, parfois le texte faisant référence à des protagonistes rappelle que l’intrigue reste fabriquée, mais la musique parlant d’elle-même fait tout pardonner.
Le chœur constitué de seulement sept chanteurs est un chœur de solistes, placé sur le devant de la scène, devant l’orchestre, lorsqu’il intervient. S'il peut d’abord sembler un rien hétérogène, l’auditeur pouvant aisément distinguer chaque voix s’il le souhaite, rapidement les artistes convainquent par leur diction attentive. Leur disposition dispersée autour de l’orchestre pour le Chœur du sommeil extrait de La Diane de Fontainebleau d'Henry Desmarest permet un effet de spatialité et de douceur efficace. Le changement de timbre, très nasal, fait également son plein effet pour le chœur des filles du Styx dans l’air éponyme.
C’est avec un air moins tragique et plus réjouissant, permettant à chacun des artistes, soliste, musiciens et artistes du chœur, de participer avec autant de virtuosité que de tendresse, que l’ensemble offre comme bis, « Sous ses lois l’Amour veut qu’on jouisse d’un bonheur qui jamais ne finisse » extrait d’Acis et Galatée de Lully. Ils finissent en chantant ce dernier vers « Tendres cœurs, venez tous en jouir avec nous », comme une invitation au public qui pourtant a d’ores et déjà joui de ce bonheur musical qui jamais ne devrait finir.