Le Jardin des Voix : 10 éditions avec la famille Les Arts Florissants
Le Jardin des Voix fleurit depuis 20 ans sous cette appellation, mais William Christie cultivait en fait les talents depuis fort longtemps, comme le confirme Paul Agnew (désormais codirecteur des Arts Florissants) : “Bill (William Christie) enseignait au Conservatoire de Paris, il y a rencontré de nombreux chanteurs très intéressants (Sandrine Piau, Véronique Gens, Jérôme Correas et bien d'autres qui étaient alors étudiants et ont ensuite rejoint Les Arts Florissants). Lorsque William a laissé de côté la pression du conservatoire, il voulait tout de même continuer son parcours de rencontres et de formations pour les jeunes artistes. Le Jardin des Voix lui a ainsi permis de poursuivre ces rencontres et ce travail de formation. Ce programme est ainsi devenu un pont entre formation et monde professionnel.”
“Le Jardin des Voix fête ses 20 ans, mais il a en fait toujours existé, surenchérit Reinoud van Mechelen (ténor belge lauréat de la 5ème promotion, en 2011), dans le sens où William Christie a toujours eu ce rôle de repérer et lancer des jeunes sur la trajectoire qu'il a su dessiner. C'est une qualité immense qui a énormément contribué à dessiner le paysage musical en Europe : avec surtout la transmission d'une passion, par des moyens pédagogiques et techniques au service de sa vision, menant à ce qu'il veut sentir, vivre.”
Découverte d’un Jardin
Le projet du Jardin des Voix s’est dévoilé auréolé par la réputation des Arts Florissants. Les anciens lauréats nous racontent ainsi comment ils avaient été biberonnés aux disques des Arts Florissants : “Ce qui m’a attiré tout de suite vers le Jardin des Voix, ce sont Les Arts Florissants, nous raconte Marc Mauillon qui participait à la première édition (en 2002). C’est un ensemble que j’écoutais depuis tout petit, leurs disques sont parmi les premiers que nous achetions avec ma sœur grâce à notre argent de poche.” De même, Emmanuelle de Negri (soprano française de la 4ème édition en 2009) nous confie : “Mon père était féru de musique baroque et en écoutait beaucoup à la maison (Les Indes galantes de Rameau, du Charpentier, Le Bourgeois gentilhomme, entre autres). J’ai donc grandi et fait mon éducation musicale avec eux, d’autant que mon premier professeur de chant avait travaillé avec William Christie : Daniel Salas qui avait été Idas dans le premier Atys en 1987.”
D’ailleurs, cette renommée s’est vite étendue à l’international : “J'étudiais à l'Université et au Conservatoire Eastman à New York. J'y ai rencontré des collègues qui m’ont dit que ma voix et ma sensibilité conviendraient pour Les Arts Florissants, et combien Le Jardin des Voix était une opportunité à saisir”, explique Zachary Wilder (ténor américain de la 6ème édition, en 2013). “Je connaissais Les Arts Florissants depuis mon adolescence, avec leurs disques, relate lui aussi Carlo Vistoli (contre-ténor italien de la 7ème édition, en 2015). Je suivais leurs activités : c’est devenu un objectif, dès le début de mes études de chant.”
Padraic Rowan (baryton-basse irlandais issu de la 8ème édition, en 2017), a été attiré par “le bouche-à-oreille, des amis chanteurs et la réputation de ces ensembles. Je savais que c'était le bon moment et bien entendu le bon ensemble pour travailler la musique baroque à cette étape de mon parcours.” Le Jardin des Voix a ainsi révélé des artistes à la musique et au monde professionnel, en leur faisant même parfois découvrir une passion, en lançant leur carrière vers une autre dimension, ou bien tout simplement comme le point de départ. La biographie professionnelle de Lea Desandre (mezzo-soprano franco-italienne de la 7ème édition, en 2015) commence ainsi : "Remarquée dès l’âge de vingt ans par William Christie", et ce fut précisément au Jardin des Voix.
Les anciens et les institutions elles-mêmes se sont petit à petit transformés en prescripteurs : Deborah Cachet (soprano belge de la 9ème édition, en 2019) a ainsi entendu parler du Jardin des Voix par Reinoud van Mechelen (ténor belge du 5ème Jardin des Voix en 2011) : “J'ai travaillé avec lui, et il m’a parlé du Jardin des Voix avec beaucoup d’enthousiasme. J’avais du Jardin des Voix l’image d’un projet inaccessible pour moi. J’ai postulé parmi des centaines de candidats” et elle a gagné sa place pour “ce programme unique qui traite les chanteurs comme des artistes professionnels (avec cette immense tournée).” Il en va de même pour Moritz Kallenberg (ténor allemand de la 9ème édition en 2019) : “J’ai rejoint le programme de jeunes artistes à l’Opéra d’Etat de Stuttgart et l’un de mes collègues (Padraic Rowan qui venait de faire l’édition précédente) m'a dit combien ce programme pourrait être bénéfique. La direction à Stuttgart me l'a également recommandé.”
Des Auditions d’exception
Les candidats qui postulent pour rejoindre le Jardin des Voix viennent du monde entier, et les auditions sont organisées tous les deux ans dans de grandes capitales (Paris, New York et alternativement d’autres villes européennes, afin que chaque voix présélectionnée sur enregistrement puisse venir auditionner en présence du jury). Sur les 250 candidats qui envoient un enregistrement, près d’une centaine sont ainsi auditionnés, et seulement 6 ou 7 sont finalement retenus. “Nous écoutons toutes les bandes sonores envoyées, avec plusieurs personnes de l’équipe pour jauger les niveaux, raconte Paul Agnew. Certains s’imposent comme des évidences à auditionner, nous en invitons certains à candidater à nouveau (certains ont été acceptés après trois auditions).” Zachary Wilder raconte ainsi avoir envoyé comme enregistrement pour le Jardin des Voix “une bande enregistrée avec un clavecin cassé. Le résultat était certainement horrible, et pourtant j’ai reçu une très longue lettre de réponse, détaillée, où l’on me disait avoir repéré quelque chose dans ma voix et pour m’inciter à essayer de nouveau une autre année.”
Outre la quantité impressionnante de candidatures reçues et entendues, ces séances d'audition sont en effet uniques par leurs dimensions, leur durée et leur détail. “Nous avons des discussions quotidiennes très détaillées pour chaque audition, et une fois le processus d’audition fini, nous réécoutons encore une trentaine de prestations et puis nous échangeons à nouveau, poursuit Paul Agnew. Les débats sont ainsi longs, mais les goûts se rejoignent, grâce à notre longue expérience en commun.” Paul Agnew qualifie toutefois certains choix d’“audacieux” tout en pondérant : “mais c’est essentiellement la crème des jeunes voix.” “Ce qui est remarquable, renchérit James Way (ténor anglais de la 8ème édition, 2017), c’est leur ouverture à la richesse des voix, les risques pris aussi, le tout construisant la réputation des chanteurs avec celle de l’ensemble”, ce que confirme William Christie : “Les jeunes que nous avons choisis montrent par la pratique artistique et par l'expérience que nous avons parfaitement raison, dans nos choix et dans ce projet du Jardin des Voix : ils font de très belles carrières.”
“Si les auditions sont relativement longues (entre 15 et 20 minutes), c’est parce que nous parlons beaucoup avec les candidats, afin de les connaître, explique Paul Agnew. Nous cherchons bien entendu une belle voix, mais il y a beaucoup de belles voix à travers le monde : ce que nous voulons trouver c’est une personnalité artistique. Nous prenons donc le temps, dès l’audition, de travailler avec le candidat, de refaire la pièce, de chanter à nouveau l’œuvre en les interrogeant sur leur propre envie, leur pensée : leurs capacités d’expression sont un puissant révélateur de leur formation, de leur intérêt et c’est une partie aussi essentielle. L’accompagnatrice de l’audition tient également un rôle prépondérant, non seulement aux côtés du jury pour la sélection, mais donc dans le travail durant l’audition. Et de fait, éléments tout aussi uniques pour une audition, les candidats ont un long temps de répétition en amont.”
Ce que résume également William Christie : “Nous cherchons la belle voix, avec sa pureté et sa technique, mais 90% des jeunes chanteurs en sont capables. Ce qui fait le supplément, c’est la personnalité, l'engagement, la beauté et l’allure de l’interprétation”.
Les auditions ressemblent ainsi au travail qui sera mené avec le Jardin des Voix, et même pour la suite de la carrière, comme l’explique James Way : “Dès mon audition, j'étais déjà également intéressé par la direction (et j’ai donc aussi énormément bénéficié du travail avec Paul), alors Bill a insisté sur l'importance d'avoir quelque chose à dire de la musique en question, quelque chose à exprimer, une raison, un motif : une approche de la musique.”
Les candidats sont bien sûr intimidés de chanter pour un tel projet et devant de tels musiciens. “J'avais très peur, car William Christie est une figure légendaire de la musique baroque, confie Zachary Wilder, il a réfléchi un moment et m'a dit que ce sera un plaisir de travailler avec moi au Jardin des Voix !” Deborah Cachet relate également : “Bien entendu, on ressent d’abord une forme de stress, à auditionner devant de tels artistes et pour un tel projet mais les auditions sont si bien organisées que je m’y suis sentie très à l’aise. Je sentais combien on recherchait ici l’épanouissement des chanteurs. L’audition pour le Jardin des Voix est unique : d’habitude, on a un peu de temps pour s’échauffer la voix dans une autre salle, puis cinq minutes devant un jury qui conclut en disant 'merci on vous rappellera'. Le Jardin des Voix invite les candidats la veille pour travailler avec le claveciniste, puis 20 minutes avec William Christie et Paul Agnew notamment pour un vrai échange artistique avec des questions sur notre interprétation et notre personnalité”.
Même lorsque l’audition a été une réussite, l’impétrant met parfois un moment pour le réaliser, comme ce fut le cas pour Reinoud van Mechelen : “l’annonce des résultats est l’un des moments les plus mémorables de ma vie. Lorsque j’ai reçu le mail, je parlais déjà bien français, mais avec le stress, j’ai cru que je n’étais pas retenu. Je l’ai montré, déçu et triste, à mes proches, qui en lisant la réponse m’ont détrompé. C’était un immense choc positif. J'ai très vite saisi l'importance de cette formation : mon audition m’avait d’emblée apporté le bonheur d'avoir pu chanter à mon niveau et devant William Christie.” La soprano caennaise Élodie Fonnard (de la 5ème édition, en 2011) nous raconte pour sa part : “Lorsque j’ai reçu la réponse positive, j’ai répondu en disant qu’ils s’étaient sans doute trompés de destinataire. Mais en fait j'avais bel et bien été acceptée. C’était comme un rêve qui se réalisait, j’ai appelé tout de suite mes parents et ils étaient très émus. Je n’étais pas destinée pour la musique, ce n'était pas mon milieu et j'avais l'impression que les portes s’ouvraient sur un univers inconnu et enthousiasmant.”
Le Jardin des Voix, de Caen à Thiré (siège de la Fondation Les Arts Florissants - William Christie)
Une fois retenus, les candidats rejoignent le Jardin des Voix, littéralement, dans les Jardins de William Christie (à Thiré en Vendée). “Le Jardin des voix marie ainsi les deux passions de William Christie : le jardin et la musique”, rappelle Paul Agnew.
Le projet était auparavant basé à Caen : “Avoir le Théâtre comme lieu de résidence apportait tous les avantages pour les jeunes chanteurs de répéter et produire leur spectacle”. Ce lien avec Caen résonne particulièrement pour Élodie Fonnard, originaire de cette ville, qui a commencé par le piano au Conservatoire de Caen : “J’avais rencontré William Christie lorsque j’étais adolescente, au cours d’une master-classe au Conservatoire (je faisais du chant depuis un an). J’étais très impressionnée car c’était une grande fierté pour notre ville que d’avoir un tel artiste et un tel ensemble mais il avait été très gentil et encourageant”.
Ce premier lieu et cette voie de professionnalisation était également l'occasion pour les premiers membres du Jardin des Voix de faire leur découverte du monde professionnel “dans des conditions de rêve, inédite pour nous, se remémore Marc Mauillon les yeux écarquillés. Nous recevions les premiers défraiements de notre vie, nous allions juste à côté du Théâtre acheter nos repas et nous étions quatre ou cinq à payer avec des billets de 50 euros (défraiements pour la semaine), au grand étonnement des caissières et de nous-mêmes. Des hôtels, des cocktails, des interviews, c’était extraordinaire par rapport à notre quotidien. Tout cela ne donne pas la grosse tête mais permet d’entrevoir ce qu’est véritablement le top-niveau de ce métier, et cela m’a donné encore plus de motivation pour y parvenir.” “C’était l’occasion de voyager à travers le monde, dans les plus grandes salles et les meilleures conditions, confirme Élodie Fonnard : un rêve de jeune fille”. “C’est à travers ce projet que j’ai réalisé que je pouvais avoir ma place au niveau international”, abonde Xavier Sabata contre-ténor espagnol du Jardin des Voix (deuxième édition en 2005) : “Il m’a donné l’opportunité de devenir quelqu’un dans le monde de la musique baroque au niveau européen. Je n’étais alors pas conscient de la dimension de ce programme : nous avons fait un disque ainsi qu’une tournée d’une douzaine de concerts dans de grandes salles.”
L’ensemble qui rayonne à l’international est désormais installé à Thiré en Vendée (où se déroule le Festival Dans les Jardins de William Christie, qui accueille 9.000 spectateurs pour une centaine de promenades musicales et concerts chaque année depuis 2012). Mais le Jardin des Voix et Les Arts Florissants ont bien entendu gardé de précieux liens avec ce “Théâtre et ce public magnifiques” de Normandie comme les décrit Paul Agnew (qui y dirigeait notamment Les Arts Florissants en 2017 pour L'Orfeo de Monteverdi). “Désormais, nous sommes ancrés en Vendée et le spectacle du Jardin des Voix marque tous les deux ans l’ouverture de notre Festival, rappelle-t-il. C’est une très précieuse opportunité que de répéter et travailler avec eux à Thiré (un lieu désormais parfaitement équipé pour les artistes et le public). Il est très précieux de ne pas être à Paris, pour souder notre équipe. Chacun chante pour les autres, ils se soutiennent et s’aident, dans un esprit et une pratique uniquement possible grâce à ce travail en résidence, plongé pleinement dans la vie musicale.”
James Way raconte ainsi l’émerveillement des artistes en arrivant à Thiré comme la “découverte d’un monde et de ces lieux exceptionnels : sans aucune distraction extérieure, un endroit magnifique, un choc, un havre permettant de travailler et vivre ainsi tous ensemble. Nos premières prestations étaient dehors, au Miroir d'eau dans les Jardins : c'est l'environnement de chant le plus beau et le plus exigeant (préparant à toutes les acoustiques de toutes les salles pour la grande tournée à suivre).” Moritz Kallenberg abonde : “Thiré est un rêve, une bulle de conte de fées. C’est un petit village, avec des maisons d’artistes. Nous sommes plongés dans un climat familial et professionnel. Le travail est très concentré, précis, de très haut niveau allant dans les plus grands détails (et nous partageons nos repas en de grandes tablées où nous mangeons tous ensemble).”
Le Jardin des Voix “est une résidence permettant de savoir quels rôles et quels répertoires nous correspondent. Ce programme a la richesse d’un studio, d’une académie reliant le travail et la professionnalisation”, comme le relate Deborah Cachet qui a rejoint la dernière édition en date du Jardin des voix (en 2019). “C’est un endroit onirique et où nous sommes très à l’aise, dans le travail et la vie avec toute l’équipe. Nous chantons et vivons ensemble. Cela soude un esprit d’équipe très fort, avec les chanteurs, Bill, Paul, Sophie [William Christie, Paul Agnew et Sophie Daneman, ndlr] : une relation non seulement artistique mais amicale (sans aucune rivalité) tout au long des répétitions musicales et des répétitions scéniques, avec également quelques sessions individuelles pour chaque chanteur et beaucoup de travail de groupe, pour nous écouter. On apprend énormément, sur soi, sur les autres, sur les œuvres choisies et bien davantage. On apprend sur la voix et sur le travail scénique (le personnage que j'incarnais avait un caractère très différent du mien : cela m’a permis de trouver des ressources nouvelles). Vocalement, j’ai été poussée loin dans l’exploration de mes ressources vocales, et cela m’a énormément apporté : ils nous encouragent toujours à aller plus loin, oser plus, essayer, expérimenter”. “L'expérience à Thiré, ce sont deux semaines intenses, qui bénéficient pleinement au travail, aux résultats en concert et à la carrière d’artiste, retrace Padraic Rowan. Dans le travail quotidien se déploie une grande connaissance des artistes et du répertoire. D’autant que William Christie est une personne charmante, qui sait instaurer un climat détendu mais en sachant exactement ce qu'il veut. Il a tellement de savoir et d'expérience que tout interprète boit ses paroles. Vous pouvez voir combien il vit et respire cette musique depuis toujours, en s’appuyant sur un immense travail, plongeant aussi et ainsi au plus profond de l’émotion (William Christie est au bord des larmes à certains moments des concerts, c'est extraordinaire d'en faire partie).”
Travailler en famille
Si les participants au Jardin des Voix nous parlent tous d’une famille, c’est aussi pour l’expérience vécue à Thiré (ou à Caen auparavant), comme le confirme William Christie : "ces moments sont extrêmement importants, ils sont collégiaux, amicaux, familiaux. Ces souvenirs restent très fortement ancrés chez les anciens.” La famille artistique se conjugue avec le travail le plus exigeant. “William est rigoureux, rappelant que le jeune chanteur doit avoir des règles, disposer de détermination et de discipline, témoigne Paul Agnew. Le Jardin des Voix est une activité professionnelle (les lauréats sont de fait rémunérés) pour un ensemble professionnel, rappelle ainsi Paul Agnew. Ce n’est pas une académie ou un stage, ni même une activité bénévole. Le Jardin des Voix c’est aussi Les Arts Florissants et ils doivent donc offrir un résultat au moins du même niveau que tout le reste de nos activités. Nous poussons les jeunes à donner le meilleur d’eux-mêmes, dans un répertoire très spécifiquement choisi pour eux et travaillé avec eux.” Xavier Sabata insiste ainsi sur la différence complète entre une structure d’apprentissage et la dimension professionnelle du Jardin des voix : “À l’école, nous travaillons en étant protégés, alors que le Jardin des Voix nous expose en nous confrontant au monde professionnel. J’ai appris au Jardin des Voix à avoir une grande exigence par rapport à ce que je produis : ce qui m’importe, c’est le projet, le rôle qui m’est offert, la qualité du travail qui peut être effectué.”
Le rythme de travail est intense, mais tout en invitant les voix à s’exprimer, il les préserve : “Le travail de la voix se fait dans le dialogue avec un orchestre qui sait accompagner (nous éloignant des chefs qui demandent toujours plus de volume), raconte Moritz Kallenberg. Le contact avec l’orchestre est alors plus tendre, dans un son qui permet de chanter avec moins de pression, plus de couleur. J’ai chanté et découvert avec lui mes plus beaux piani. William vous assure que tous les musiciens feront en sorte que l’orchestre nous suive. Nous chantions sept jours sur sept et je n’étais pourtant jamais fatigué. C’est un chant très sain, qui ôte tout le stress vocal. William Christie et Paul Agnew m’ont conseillé de rester aussi longtemps que possible dans ce beau répertoire de chant et de faire attention aux grands orchestres. Rester dans le champ de la beauté vocale est un excellent conseil, qui m’accompagne encore. Au Stuttgart Opéra j’ai ainsi pu rester dans le répertoire baroque pour lequel je suis reconnu. À chaque proposition d'engagement, j'ai un petit Paul Agnew sur l'épaule qui veille sur ma voix et me dit de rester dans la beauté du chant”. Justement, le travail avec l'orchestre est un moment déterminant, comme l'explique Lea Desandre : "La première rencontre avec l'Orchestre des Arts Florissants, suite au travail mené en résidence, entérine cette dimension familiale qui mène au professionnalisme. Dans le contenu, le travail musical avec l'orchestre est une recherche de couleurs et d'échanges. Dans le rapport humain, les musiciens nous aident et nous transmettent tout autant, dans un rapport artistique et inter-générationnel."
Le travail avec un ensemble de cette envergure est justement la “porte d’entrée essentielle de cette formation, que décrit Élodie Fonnard. Nous étions de très jeunes professionnels, encore en formation et nous avons été totalement pris en charge vers ce résultat professionnel. Nous sentions vraiment et constamment ce soutien bienveillant, qui inspire confiance : permettant d’apprendre sans cesse de chacun. Nous avions les conseils de tout le monde, avec David Simpson au violoncelle nous donnant des indications pour que le continuo nous suive, idem venant de Benoît Hartoin au clavecin, des premiers violons”.
Un travail expressif méthodique
William Christie résume ainsi les enjeux de cette formation : “Évidemment, les jeunes artistes qui nous rejoignent ont déjà beaucoup travaillé au conservatoire et atteint un excellent niveau technique. Nous leur apportons des éléments de style, de définition musicale”. “Nous sommes censés avoir déjà la technique en arrivant au Jardin des voix, confirme Xavier Sabata. En revanche, l’écart d’exigence est énorme entre les cours au Conservatoire avec des professeurs qui sont pourtant de très haut niveau, et les répétitions avec William Christie. L’écart ne porte pas tant que cela sur les aspects techniques mais sur l’interprétation, la diction, la musicalité. Travailler avec William Christie façonne notre flexibilité technique car le travail de recherche nécessite d’essayer beaucoup de choses afin de repousser les limites et aller au-delà d’un résultat correct.” Emmanuelle de Negri poursuit : “Même si j’étais formée au CNSM, en académie à Ambronay et ailleurs, fait également du Destouches et de l’ornementation avec Hervé Niquet, j’ai pu aborder toutes les langues et les styles avec le Jardin des Voix. Nous avions le temps pour tout comprendre avec Paul Agnew et William Christie : les différents mécanismes et la souplesse de voix”.
“Nous choisissons un répertoire qui est source d’épanouissement pour de jeunes chanteurs et qui comporte des ensembles, y compris d’une très grande difficulté, poursuit Paul Agnew. Cela permet de rappeler que tout le monde est responsable de tout le monde, rien ne peut fonctionner si une seule personne n’est pas préparée. Ainsi chaque soliste motive les autres, tire l’ensemble vers le haut, toujours dans une appréciation des collègues”.
“William Christie donne des cours d’interprétation, cherche des couleurs qui ne sont pas nécessairement académiques, sur le chemin du bel canto mais avec des contrastes intenses, confirme Marc Mauillon. Il emmène le chanteur assez loin dans cette recherche, qui revient à ce que disent les traités. Il ouvre plus grand l’éventail de couleurs, sur la solidité de l’instrument. C’est un travail sur la partie la plus subtile dans l'art du chant (les pressions au-dessus et au-dessous du larynx). Pour qu’il soit libre, il faut que la pression soit juste et au parfait endroit : cette musique baroque demande un très grand contrôle, du domaine de la subtilité et du détail omniprésent. William ne demande pas un changement de technique mais un élargissement de la technique, ouvrant les horizons. Son enseignement musical est ainsi spécifique au répertoire.”
“L’idée est d’analyser chaque air en profondeur, poursuit Xavier Sabata, à la fois d’un point de vue musical mais aussi textuel, avec un travail sur la diction, la poésie, le personnage. Le travail consiste ensuite à lier le texte à la musique et à trouver une connexion profonde entre la musique et la psychologie du personnage. S’y ajoute le travail sur le style, les ornementations, tout en pensant à la théâtralité de l’air. Cela prend du temps de trouver le bon ton, le bon tempo, le bon rythme. Une fois qu’on a travaillé avec les différents coachs spécialisés, le travail de répétition avec William Christie débute : c’est un moment incroyable. Il dit qu’il faut oser ne pas toujours chanter joliment pour favoriser l’expressivité. L’idée est vraiment de développer une compréhension fine de la musique pour pouvoir ensuite être flexible et s’adapter aux visions des chefs d’orchestre. Cette rigueur met beaucoup de pression : ce programme apprend aussi à la gérer, ce qui est un atout pour la suite de la carrière car la pression est un aspect prégnant et constant de notre métier". “Le travail est de fait très intense, raconte Emmanuelle de Negri : le chant, la mise en scène, mais aussi par des recherches liées aux morceaux (avec une bibliothèque expressément rapatriée à disposition). Ce travail se sculpte ainsi à l’image de notre répertoire, taillé comme un gant sur nos voix, pour une belle et grande tournée.”
Un répertoire choisi
Le travail du Jardin des Voix commence bien avant l'arrivée des jeunes artistes, par le choix de l'œuvre : “Pour chaque édition, nous choisissons une œuvre qui sera travaillée et chantée par le Jardin des Voix : c'est pour cette œuvre que sont auditionnés les candidats, pour elle qu'ils sont choisis lors des auditions”, rappelle William Christie, qui effectue ce choix avec Paul Agnew et la conseillère artistique et dramaturge Rita de Letteriis. Certaines années, nous ciblons une œuvre particulière, d’autres années nous faisons des pastiches de plusieurs œuvres, avec la constante de proposer plusieurs personnages”, rappelle William Christie. Pourquoi avoir choisi Partenope de Haendel cette année ? “Car c'est une œuvre que j'aime”, répond d'abord très directement William Christie, qui ajoute : “c’est un opus qui est très approprié pour un petit nombre de solistes, une œuvre qui a une certaine liberté d'esprit.”
De fait pour travailler l'opéra séria avec les jeunes pousses vocales du Jardin des Voix, il n'y a “pas de mystère. Nous travaillons l’aria et le récitatif par les moyens les plus directs : le récitatif est le moyen de véhiculer un texte par l’entretien entre deux personnages, les airs sont les vecteurs des émotions, permettant de montrer au public les éléments plus lyriques et dramatiques. Les ingrédients pour Haendel tiennent d'abord dans la belle voix : il a passé toute sa vie professionnelle à travers le monde musical (comme s'il était aujourd'hui le surintendant du Met à New York ou de l'Opéra de Paris) et pouvait choisir les meilleurs chanteurs au monde. Nous avons nous aussi, grâce au Jardin des Voix, la possibilité de sélectionner les voix d'avenir.” Le travail de Partenope se fait ainsi “dans l'esthétique définie par Monsieur Haendel, avec la griffe Arts Flo : un respect pour les pratiques d'autrefois, sur le plan instrumental, vocal, rhétorique.”
“De temps en temps nous invitons un spécialiste pour des programmes particuliers et nous échangeons sur d’autres choses que la musique, complète Paul Agnew. Nous nous posons des questions fascinantes : l’influence de l’époque, du milieu. Et puis nous développons les questions d’ornementation : voir ce qui est écrit sur la partition est loin d’être suffisant, et en même temps l’interprétation ce n’est pas seulement le goût. Les textes existent, dans lesquels il faut plonger et étudier pour remonter aux origines de la formation des chanteurs, comprendre l’époque, l’esthétique, les choix et les moyens dans leur contexte.” Xavier Sabata relate ainsi le travail approfondi effectué : “Le programme des concerts était déjà décidé : nous avons travaillé sur ces pièces de manière très approfondie, avec de nombreux spécialistes (les coachs de langue, de style, de travail scénique, etc.). Nous avons ainsi fait un travail corporel, sur la diction en français, en anglais, en italien, avec des spécialistes qui collaborent dans les plus grands opéras et que je recroise souvent.” Un travail avec les coachs dont a tiré pleinement profit Lea Desandre également, même franco-italienne et retenue pour "Un Jardin à l'italienne" (programme de son édition en 2015) : "Le programme est fait sur mesure pour nos voix" : la mezzo rappelle ainsi la continuité entre auditions, travail et professionnalisation basée sur le répertoire.
Les choix de répertoire diffèrent ainsi chaque année et apportent de nouveaux talents au Jardin des Voix. Le baryton-basse irlandais Padraic Rowan et le ténor anglais James Way ont ainsi participé en 2017 au Jardin anglais (8ème édition du Jardin des Voix), “ce qui nous a permis d’approfondir toutes les finesses de ce style, tous ces détails essentiels qui ne sont pas notés sur la partition et qui ne s'apprennent pas dans les livres mais se transmettent par la pratique, l'inspiration, l'émotion, l'intuition, les échanges”, détaille celui-ci. “William Christie est une encyclopédie vivante, selon Élodie Fonnard. Il a toujours un milliard d’idées, il dispose d’une expérience incroyable et connaît tout le répertoire par cœur, il va creuser des détails de l’ornementation. Nous avions ainsi à la fois l’impression d’être dans une master-classe et dans la préparation d’un résultat professionnel pour le public.”
Zachary Wilder n’en dit pas moins, concernant le travail du répertoire baroque français : “William Christie est une ressource unique pour remonter aux sources, à la manière par laquelle il a fait revivre cette tradition artistique et donc pour apprendre le style en recherchant aussi en soi-même comment habiter cette musique : la philosophie de cette esthétique, depuis la vision d’ensemble jusqu'aux détails techniques. Nous avons aussi beaucoup parlé de la langue et de la philosophie pour approcher ce répertoire. C'est ce qui donne tout son sens à la musique et permet d'approcher cette poésie, dans une simplicité recherchée. Changer ainsi la focale transforme complètement la musique : Bill sait les détails qui vont changer toute l'œuvre, donner son sens à tout l'air (la double consonne, l'accent qui change tout). Jamais il ne sépare le style et la technique. Creuser ainsi l'art et la manière d'un répertoire permet d'en travailler la technique naturellement, avec une virtuosité et une aisance qui s'appuie sur une grande maîtrise vocale. Le travail a concrétisé les mécanismes de la musique baroque française et permis de se débarrasser de tics vocaux, du superflu.”
Tout ce travail a un fil rouge et un objectif : travailler un discours. “Vous pouvez être le meilleur chanteur au monde mais si vous n'êtes pas intéressé par ce que vous chantez alors le résultat ne signifie rien.” C’est ainsi que James Way résume cet aspect fondamental de l’enseignement apporté par Le Jardin des Voix. “Les idées de William Christie et Paul Agnew m’ont beaucoup aidé, témoigne ainsi Carlo Vistoli. Chaque concert avec eux crée une histoire, un fil rouge d’amour passionné, montrant dans chaque air (et dans les liens entre chaque air) les émotions. Le travail avec le Jardin des Voix et Les Arts Florissants m’a aidé pour tout ce que je chante à présent, notamment dans le baroque.” “Le programme est fait sur mesure pour les chanteurs, taillé pour nos voix, pour nous mettre à l’aise, se félicite Emmanuelle de Negri. Ce qui permet de pleinement vivre l’expérience de cette grande famille avec la rencontre d’un orchestre, d’un ensemble avec un son unique et une très grande écoute.”
Concerts et tournées
Traditionnellement, deux tournées sont organisées, l’une avec William Christie et l’autre avec Paul Agnew : entre 10 et 15 spectacles tout au long de la saison, “Les tournées se font dans les conditions standards des Arts Florissants, affirme celui-ci : avec la même organisation, rodée, avec des artistes prêts.” William Christie se remémore combien “le parcours de ce projet Le Jardin des Voix, qui a une vingtaine d'années, a été assez fulgurant : les salles de concerts les plus prestigieuses à travers la planète dans lesquelles nous jouons ont tout de suite adhéré à l'idée et au projet alors même qu'il s'agit pour eux de programmer un concert sans connaître le nom des solistes. La notoriété de l’ensemble Les Arts Florissants s’est ainsi mise au service des jeunes chanteurs.”
Chanter dans de tels concerts et dans les lieux les plus prestigieux a bien entendu de quoi intimider les jeunes artistes, mais ils y sont portés par le travail durant le Jardin des Voix et par le lien que nous décrit Marc Mauillon : “Le fait qu’un artiste tel que William Christie accorde sa confiance aide énormément. L’un des moments les plus forts pour ma confiance s’est produit en 2005, quand William m’a demandé de venir chanter un air virtuose de Mondonville à la Philharmonie de Berlin. William est un homme très généreux, qui donne sa chance et sa confiance aux artistes. J’avais déjà beaucoup travaillé, dans des académies et avec les traités, mais j’ai en plus trouvé l’énergie de cet ensemble addictive (ce qui explique aussi pourquoi le public est si fidèle). Une fois qu’on a chanté devant William Christie, on peut chanter devant le monde entier : le travail avec lui apporte donc beaucoup d’assurance.” La confiance (et l’amitié), tel est également le maître mot qu’Emmanuelle de Negri met en avant dans ses relations avec William Christie : “William Christie est un pédagogue, en termes de contenus mais aussi pour confier des rôles à ses jeunes pousses. Il m’a rapidement fait confiance et confié des rôles sur d’autres productions. Parfois, il me confiait un petit rôle mais en m’engageant comme doublure du premier rôle pour travailler la préparation physique, mentale et musicale. Cela a permis une montée progressive jusqu’à me confier un premier rôle (Sangaride dans Atys) qui a participé à lancer ma carrière.”
“Cette tournée mondiale, lancée par le travail du Jardin des Voix, m’a notamment mené à apprendre et à comprendre la raison pour laquelle leurs enregistrements sont si bons et iconiques avec une telle sonorité, révèle James Way : cela repose sur le jeu, le plaisir de faire de la musique et le fait que chacun participe au propos. William Christie a de grandes idées et il sait diriger mais il laisse et incite les artistes à s'épanouir par la musique qu'ils interprètent. Les solistes, comme l'orchestre, chacun a le droit d'utiliser pleinement son talent et sa créativité. Chanter et approfondir ces programmes tellement en détail et tellement de fois permet de pleinement tout ressentir, (presque) tout faire et tout tenter. Les concerts sont ainsi différents chaque soir.” “J’ai compris au Jardin des voix que ma production scénique était de ma responsabilité, explique Xavier Sabata. William Christie répète souvent qu’une fois le travail de répétition effectué, nous devons prendre en main notre interprétation, sans simplement obéir à ce qui nous a été demandé : l’interprétation est notre responsabilité. Le chef nous aide à trouver les nuances et les finesses de l’interprétation, mais durant la représentation, il repasse au second plan. J’aime cette liberté : cela m’accompagne depuis le début de ma carrière.” “Le Jardin des voix projette, catapulte immédiatement dans le monde professionnel, confirme Lea Desandre, par le travail et la tournée dans les plus prestigieuses salles à travers le monde. C'est un condensé de tout ce qu'apporte une carrière. C'est l'école de la vie musicale apprenant à gérer le plateau, le stress, déployer la musicalité chaque soir, même au lendemain d'un autre concert après un voyage en avion et dans le décalage horaire, au bout d'une longue tournée loin de chez soi. La différence qu'apporte le Jardin des Voix se ressent donc aussi sur la mentalité, avec le basculement d'une position d'étudiante à celle d'une professionnelle. Cette formation par le métier montre ainsi comment chanter dans différents lieux aux acoustiques très différentes mais sans contraindre la voix à s'adapter à l'acoustique. Le travail intense permet de travailler l'intensité dans le rapport à son corps, à son instrument.”
Insertion Professionnelle
Le Jardin des Voix s’impose ainsi comme un moment déterminant pour une carrière d’artiste, la propulsant vers d’autres dimensions. Parfois même, ce programme sert de déclic à la vocation, comme ce fut le cas pour Xavier Sabata qui n’envisageait pas de “devenir chanteur d’opéra, ni faire de l’opéra baroque”, nous confie-t-il : “j’avais décidé de devenir comédien et j’étudiais à l’école de théâtre de Barcelone. Mais j’ai eu besoin de quelque chose d’autre : je voulais voyager, alors que jouer la comédie en catalan ne m’offrait qu’une carrière locale. Je faisais de la musique et étudiais le saxophone. J’adorais la musique et chanter comme contre-ténor en amateur. Andreas Scholl suscitait déjà des passions : je me suis rendu compte que ce pouvait être un métier. J’ai donc décidé de changer de voie et ai intégré l’École supérieure de musique de Barcelone. Au bout d’un an, en 2003, le Directeur du département de musiques anciennes m’a parlé du Jardin des Voix : j’ai participé à l’audition. Avant même de m’annoncer ma sélection pour le programme, William Christie m’a engagé pour Le Couronnement de Poppée à l’Opéra de Lyon. Je n’ai appris que j’étais pris au Jardin des Voix qu’après ce premier contrat.”
Le Jardin des Voix fleurit donc depuis 20 ans et fait pousser de jeunes chanteurs, leur offrant des rencontres et une exposition, auprès du public et des professionnels, parfois donc avant même la formation mais essentiellement dans la foulée et par la suite. “Nous sélectionnons ces voix entre 18 et 30 ans et quand ils nous quittent, ils sont régulièrement déjà embauchés par de grandes institutions, se félicite William Christie. Le Jardin des Voix fait le lien entre leur formation (y compris dans les conservatoires internationaux les plus prestigieux) et les formations (les plus prestigieux ensembles à l’international).” L’intérêt du public et des professionnels vient également de là : “pouvoir dire 'j'étais là lorsque Mme Sonya Yoncheva [lauréate de la troisième édition du Jardin des Voix] a commencé sa carrière', c’est un bonheur, un régal pour le public.”
Dès leur sortie du Jardin des Voix, les jeunes chanteurs sont très suivis, auditionnés. À la question de savoir ce que lui a apporté le Jardin des Voix, Marc Mauillon répond ainsi dans une exclamation : “un agent, du travail ! Juste après le concert à la Philharmonie, j'ai été contacté par Valérie Chevalier (juste avant son départ pour Nancy). C’était un coup de projecteur puis une relation dans le temps et grâce à cela je n’ai plus jamais arrêté de travailler (jusqu’au confinement). Les programmateurs avaient en effet une grande curiosité et un grand intérêt à venir voir qui avait été choisi par William Christie, j’ai donc pu auditionner et travailler avec de nombreux chefs.” “C’est après l’un de ces concerts que j’ai rencontré mon agent, raconte également Xavier Sabata. William Christie auditionne 500 ou 600 personnes pour le Jardin des voix et en sélectionne 7 : les gens du métier savent ce que cela représente d’en faire partie. D’autres chefs d’orchestre ou directeurs d’institutions vous entendent. Cela permet de créer des contacts. Cela m’a permis pendant 10 ans de chanter beaucoup en France.” Deborah Cachet confirme l’importance de l’exposition qu’apporte ce programme : “Le Jardin des Voix permet de se faire largement entendre tout en donnant une idée précise de notre voix comme de nos emplois.”
“Le fait que le Jardin des Voix apporte aux artistes une exposition à des critiques et à des agents est essentiel, insiste Paul Agnew : dans une carrière, il faut beaucoup de chance avec des rencontres au bon moment (ce que provoque le Jardin de Voix, par la réputation de l’ensemble). Nous faisons des tournées où les chanteurs sont présentés dans les meilleures salles, à travers le monde. Ils sont vus et entendus par les publics, critiques, programmateurs, agents”.
L'insertion professionnelle se fait ainsi par le nombre de personnes rencontrées ainsi que par la diversité des lieux parcourus. “Chanter dans des salles différentes, avec des acoustiques différentes est une recommandation essentielle à faire pour tous les chanteurs : l’espace s’apprend beaucoup”, précise Emmanuelle de Negri, ce que Carlo Vistoli confirme : “Avant chaque, concert il y avait un véritable travail de raccord, dans la salle, pour affiner la balance entre voix et orchestre, l’adapter à l’acoustique du Théâtre de Caen comme à celle du Lincoln Center.” Padraic Rowan raconte également : “Dans mon lieu préféré qu’était la Cité de la Musique à Paris avec ses vibrations incroyables, c'était comme jouer un match à domicile, chez Les Arts Florissants, dans son stade, face à ses supporters. Le public savourait chaque moment. De Caen aussi je retiens le ciel étoilé des lumières du plafond, résonnant avec le côté magique de la musique. Moscou a un public magnifique, jetant des fleurs et se pressant pour des autographes de William Christie.”
L'insertion professionnelle se tisse et se poursuit ensuite, sur tous les plans. Zachary Wilder comme les autres, nous confirme : “Je garde des liens très riches avec les autres chanteurs de mon édition et des autres. J’y compte de vrais amis , nous avons vécu des moments uniques, profonds.” Ce qu’Emmanuelle de Negri résume ainsi : “Nous sommes les enfants des Arts Flo : nous avons la charge de porter cet immense héritage et d’interpréter cette musique le plus fidèlement possible avec toute sa dramaturgie : avec l’esthétique de cet ensemble, dans la rhétorique (William demande toujours de ‘chanter pour convaincre’).” Élodie Fonnard donne aussi un exemple très concret de ces liens professionnels et amicaux tissés avec des collègues : “Anna Reinhold est devenue ma colocataire à l’issue du programme”.
Reinoud van Mechelen aura même trouvé les ressources (artistiques et relationnelles) pour fonder plus tard son propre ensemble (A Nocte Temporis en 2016). Tandis que Lea Desandre y a notamment rencontré le luthiste Thomas Dunford, noyau artistique au cœur de l'Ensemble Jupiter fondé en 2018 et déjà lancé en orbite dans le paysage musical. La formation et cette famille rejointes par la même occasion ne cessent ensuite d'engendrer des productions et des retrouvailles : “Tous les projets auxquels j'ai participé ont été l'occasion de retrouver des rencontres faites grâce au Jardin des Voix”, nous montre ainsi Lea Desandre, qui cite notamment l'exemple emblématique du Couronnement de Poppée au Festival de Salzbourg en 2018 porté par William Christie.
Un Jardin qui continue de pousser
Le Jardin des Voix continue ainsi de semer et de fleurir, comme une aventure humaine et artistique. “Je me suis fait des amis, qui le sont toujours plus de 15 ans plus tard, nous confie Xavier Sabata. Je parle encore très régulièrement avec plusieurs personnes rencontrées là-bas. Dans notre métier, on rencontre beaucoup de monde à chaque production. Le fait de travailler ensemble, d’être loin de chez nous, crée un climat amical le temps de la production, mais ces amitiés ne durent pas nécessairement pour toute la vie. C’est au contraire le cas pour le Jardin des voix, qui est une expérience vraiment forte qui change profondément une carrière. Kenneth Weiss, l’assistant pédagogique de ce programme, a été comme un tuteur pour moi.”
L'aventure humaine et artistique se poursuit pour cette édition doublement anniversaire : la 10ème édition du Jardin des Voix doublée de la 10ème édition du Festival Dans les Jardins de William Christie. Les nouveaux lauréats du Jardin des Voix sélectionnés à Paris, Londres et New York, incarneront cet été, dans les Jardins de William Christie à Thiré puis en tournée la saison prochaine, les rôles de Partenope (Haendel), sous la direction de William Christie & Paul Agnew dans une mise en espace de Sophie Daneman : le rôle-titre sera confié à Ana Vieira Leite (soprano originaire du Portugal), avec en Rosmira Helen Charleston (mezzo-soprano du Royaume-Uni), son compatriote contre-ténor Hugh Cutting incarnera Arsace, son collègue de tessiture espagnol Alberto Miguélez Rouco sera Armindo, Jacob Lawrence (ténor australo-britannique) Emilio et le baryton français Matthieu Walendzik campera Ormonte.