Tempête musicale dans La Galerie des Glaces avec Jakub Józef Orliński
Traversant les Grands appartements d’apparat, le spectateur (re)découvre la splendeur de la Galerie des Glaces du Château de Versailles. S’asseyant, il attend le début du concert en profitant du coucher du soleil, sur sa droite au-dessus du Grand canal et des jardins. Déjà, le visiteur ne peut être que conquis. Quand les musiciens de l’ensemble Il Pomo d'Oro et le contre-ténor Jakub Józef Orliński montent sur la haute estrade, chatouillant ainsi les imposants lustres, le public ne peut laisser échapper ses applaudissements chaleureux, qui ne laissent pas indifférent le jeune chanteur.
Rapidement, les instrumentistes débutent et Orliński prend les traits d'Endimione pour le premier air "Erme e solinghe cime" (Cimes isolées et solitaires) extrait de La Calisto de Francesco Cavalli. Soutenue par un accompagnement très actif, plein de reliefs et de vie, la voix du contre-ténor emplit avec aisance l’immense couloir qu’est la galerie. Par son texte limpide, son timbre homogène, dont le grain des graves fait particulièrement frissonner de plaisir, il captive. La très belle expressivité qu’il manifeste est sans aucun doute aidée par son indéniable charisme. Vocalement et physiquement, il prend l’air désinvolte d'Eliogabalo pour chanter "Chi scherza con amor, scherza col foco" (Qui joue avec l’amour, joue avec le feu) de l’opéra éponyme écrit par Giovanni Antonio Boretti. Plus que par sa présence scénique, c’est par ses regards intenses, toujours en direction de son public, qu'Orliński renforce l’intensité expressive qu’il transmet déjà par son chant.
Il Pomo d'Oro, sous la direction engagée et vive de la violoniste Zefira Valova, est un partenaire extrêmement attentif aux nuances, dont la palette est sans cesse renouvelée pour saisir l’émotion de l’auditeur. Ses phrasés sont comme des respirations qui permettent au chanteur de faire également preuve de longues tenues. La superbe -et trop courte- cadence d'"Infelice mia costanza" (Ô ma malheureuse constance), extrait de La costanza non gradita nel doppio amore d’Aminta de Giovanni Bononcini, fait ainsi entendre un souffle long sublimé par un incroyable soutien. Puis le regard d'Orliński s’assombrit, les archets frappent les cordes, la musique devient tempête violente, les vocalises du contre-ténor se font feux d’artifices : le public est subjugué par l’intensité expressive d'"Odio, vendetta, amor" (Haine, vengeance, amour) extrait du Don Chisciotte in Sierra Morena de Francesco Bartolomeo.
Jakub Józef Orliński et Il Pomo d'Oro à la Galerie des Glaces du Château de Versailles. Trois bis dont Vedro con mio diletto de Vivaldi. pic.twitter.com/Mnr72KtT1F
— Paris Opera and Ballet News : l'actu des opéras (@operanimal) 4 juillet 2021
En guise de respiration instrumentale, Il Pomo d'Oro interprète avec fougue, virtuosité et une belle variété de nuances la Sinfonia de La Nemica d’amore fatta amante de Bononcini. Dans les traits en fusée et les parties en fugato, lors desquels un motif voyage de pupitre en pupitre, les musiciens maintiennent des regards attentifs les uns aux autres, regards qui ne cachent nullement un réel plaisir communiqué intensément. Dans l’autre interlude instrumental, la suite de danses Ballo dei Bagatellieri de Nicola Matteis, c’est comme si les musiciens se mettaient eux-mêmes à danser. La basse continue, très présente, renforce d'autant le relief musical qui donne tant de vie à cette musique.
L’air "Pena tiranna io sento al core" (J’éprouve en mon cœur une peine cruelle) d’Amadigi di Gaula de Georg Friedrich Haendel, véritable cri de lamentation, déploie le premier moment d'intense émotion de la soirée, toujours soutenu par les yeux brillants d’Orliński. Il répond pourtant "Finche salvo è l’amor suo" (Tant que son amour est sauf), de Luca Antonio Predieri, avec des sauts qui font entendre son timbre chaud de baryton sans qu’aucun passage de voix ne semble le gêner. Le récital se termine par un air de bravoure, "Che m’ami ti prega" (Qui t’aime t’implore) du Nerone de Giuseppe Maria Orlandini et Johann Mattheson, réussissant à exprimer cette dualité extrême entre l’amoureux qui implore et l’empereur qui ordonne. Sa cadence insolente lui vaut les acclamations du public.
Le public est encore plus conquis qu’il ne l’était, semblant n’être jamais rassasié des bis offerts. Entre autres, il reconnaît dès les premières notes l’air qui rendit si célèbre le jeune contre-ténor, "Vedrò con mio diletto" d’Il Giustino de Vivaldi. Un air dont la magie opère toujours autant auprès d’un public qui ne s’en lasse jamais. Sous l’ovation de toute la galerie debout, Jakub Józef Orliński et Il Pomo d'Oro n’ont pas d’autre choix que d’offrir en nouveau bis le tempétueux "Oddio, vendetta, amore". Si l’amour s’est souvent montré cruel dans les airs chantés ce soir, c’est bien son feu époustouflant qui balaye la Galerie des Glaces et les cœurs du public.