La Fille de Madame Angot, un Lecocq d’or au TCE
Dans le cadre de son Festival de Paris, le Palazzetto Bru Zane propose, comme il en a l’habitude, une œuvre perdue de vue (mais réapparaissant malgré tout régulièrement, comme en 2018 à l’Odéon de Marseille ou en 2011 à Liège) dont l’intérêt n’en est pas moindre.
Au premier jour de la complète réouverture des théâtres (sans distanciation, mais avec masque obligatoire et pass sanitaire pour les jauges supérieures à 1.000 personnes), le chef Sébastien Rouland, à la tête de l’Orchestre de chambre de Paris, fait de cette représentation une fête, par la vigueur de ses tempi, la vitalité de sa gestique, provoquant une accentuation vive et efficace. Malgré cet allant, les lignes restent fines, précises et virevoltantes, toujours nuancées et dansantes. Les ensembles, piquants et contrapuntiques, sont tous entraînants et divertissants, comme l’est le livret satirique, plein d’esprit et d’impertinence. Le Chœur du Concert Spirituel perd hélas sa cohésion musicale en sacrifiant son regroupement physique aux obligations de distanciation. Son engagement ne souffre en revanche d’aucun reproche.
Avant même la première note, le plateau vocal se présente à l’avant-scène, le sourire déjà aux lèvres, que ce soit provoqué par l’humour de l’œuvre qu’il s’apprête à chanter ou par le plaisir de retrouver un public en salle. Dans le rôle-titre, Anne-Catherine Gillet campe une fille des halles au port très distingué, les doigts légèrement relevés dans une attitude très aristocratique. Le contraste, lorsque son personnage se délure quelque peu, n’en est que plus captivant : elle tourne alors les pages de sa partition, qu’elle ne regarde pourtant pas, dans de grands gestes bourrus. Son agilité vocale et la subtilité de ses phrasés, sa voix charnue au timbre acidulé et au vibrato rond et vif si caractéristique, mettent en valeur une partition qui, ainsi interprétée, brille dans le répertoire d’opérettes. Sa diction précise se nourrit de la délectation qu’elle semble ressentir à détacher chaque syllabe.
Mathias Vidal, les mains dans les poches en titi parisien, s’amuse du cynisme amoureux de son Ange Pitou et forme avec Anne-Catherine Gillet un duo charmant. Sa voix au timbre ténébreux s’élance, se module et se nuance dans une large palette expressive et des lignes très soignées, tout juste déstabilisées parfois par une perte de maîtrise du vibrato. Véronique Gens semble à la fois heureuse et stressée dans son interprétation de Mademoiselle Lange. Sa voix pointue ne s’en déploie pas moins dans un aigu lyrique au vibrato fin et serré ou dans des graves ardents et sûrs. Très investi, Artavazd Sargsyan est un Pomponnet bonhomme et touchant. Sa voix très couverte, se déploie dans des lignes chantantes, émises d’un timbre fleuri. Il ponctue son interprétation d’un passage en voix mixte très maîtrisé et bien tenu.
Matthieu Lécroart campe un Larivaudière dynamique, à la voix charpentée et aux graves sculptés. Ingrid Perruche (Amarante, Babette et Javotte) dispose d’une voix tranchante, douce mais très vibrée dans les médiums, et plus dure dans l’aigu. Elle confère à ses personnages un bagou et une énergie bienvenus. Antoine Philippot (Louchard) est doté d’un solide baryton au timbre élégant lorsqu’il ne l’altère pas pour renforcer le grotesque de son personnage. Flannan Obé (Trenitz) exploite sa vis comica et la belle projection d’un timbre très nasal. David Witczak (Cadet, Un Incroyable, Un Officier), légèrement en retrait, expose un timbre sombre et brillant.
Pour cette version de concert particulière par son contexte sanitaire, trois bis sont offerts au public, mais dont deux le sont au cœur de l’intrigue : avec malice, les personnages eux-mêmes, comme insatisfaits, réclament du chef une seconde version de leur duo (version parisienne ou version de Bruxelles, de fait très différentes). Le public enthousiaste, après avoir vivement applaudi l’ensemble des artistes, tape dans ses mains pour accompagner la reprise de l’air principal de cette Fille de Madame Angot.