Domingo, Siri, Herzog : Fête de la Musique intense à la salle Gaveau
L'assistance enthousiaste ne s’en cache pas davantage que la directrice artistique des lieux, Marie-Automne Peyregne, en présentant les artistes : quel plaisir que de retrouver une légende du monde lyrique en cette Fête de la musique, après plus d’une année de patience. De fait, le public accueille Placido Domingo, ancien ténor, baryton converti, avec une ovation émouvante que le chef peine à contenir en entamant les premières mesures de "Nemico della patria" (Andrea Chénier, Giordano).
Le programme, essentiellement italien, se construit autour des rôles interprétés à la scène par le chanteur espagnol avec, entre autres, le duo Germont-Violetta (La Traviata, Verdi) et, en fin de soirée, celui qui oppose Leonora au Comte de Luna (Il Trovatore, Verdi). L’ancien ténor chante également l’air d'Hamlet (d'Ambroise Thomas : "O vin, dissipe la tristesse"), unique incursion dans le répertoire français tandis que sa collègue María José Siri, remplaçant Saioa Hernández initialement prévue, revient aux deux compositeurs phares de la soirée en proposant "Tacea la notte placida", sa cabalette (petite reprise ornée d'Il Trovatore de Verdi) et "La Mamma morta" (Andrea Chénier, Giordano).
La voix de la soprano uruguayenne séduit le public malgré un vibrato large et un son appuyé qui, fort heureusement, vont s’atténuant durant ses apparitions. Le timbre est très rond, d’un acier sombre, et l’émission franche apporte à l’air d'Andrea Chénier une profondeur bienvenue. Seulement, les graves sont un peu assourdis, manquant sans doute d’un travail de poitrine, et l'aigu, quoique perçant, perd en brillance. Cela étant dit, l’artiste offre une gamme généreuse de nuances pour dépeindre les personnages auxquels elle prête sa voix, et sait associer à la ligne de chant un soin du mot et une recherche manifeste de l’émotion.
Placido Domingo, , quant à lui, séduit toujours autant par son implication artistique, la simplicité et l’efficacité de ses gestes dramatiques et la qualité inaltérée de son timbre solaire et jeune. Au-delà de cet exploit toutefois, la concentration du musicien -contraint par un corps et un instrument plus récalcitrants qu’auparavant- est visible, notamment par le biais du chef français qui ne le quitte pas des yeux. Certains passages, notamment lors du duo de La Traviata ou encore, lorsqu'il interprète la chanson à boire d'Hamlet, le trouvent soudain prudent alors que l'interprétation du premier air, extrait d'Andrea Chénier, ou même le duo du dernier acte d'Il Trovatore, le montrent confiant et en pleine possession de ses moyens. Néanmoins, l’intelligence avec laquelle l’artiste espagnol sait reposer sa voix ou, à l’inverse, l’amplifier selon les climax musicaux, l'audace avec laquelle il s'empare de chaque ambiance musicale et de chaque personnage, l'humilité enfin dont il ne cesse de témoigner durant la soirée, participent activement au plaisir du public qui l’applaudit généreusement après chaque intervention.
L’Orchestre Appassionato commence la soirée avec l’ouverture de Luisa Miller (Verdi), proposant une lecture un peu alourdie de ces pages avec, entre autres, un abus des percussions qui, dans une acoustique sèche, empêche à l’ensemble de trouver une unité et une couleur définie. Fort heureusement, l’harmonie est retrouvée dès l’accompagnement de l’air de Leonora, notamment avec la cabalette, légère et sautillante. L'ouverture des Vêpres Siciliennes (Verdi) est bien exécutée mais manque là encore d'un jeu legato cher au répertoire italien. Mathieu Herzog, à la tête de l'orchestre, propose une direction à l'écoute des chanteurs, n'hésitant pas ajuster sa battue au rythme de leur respiration, quitte à perdre en cohérence dramatique.
La soirée s’achève avec quatre bis qui font la part belle à l’univers de la zarzuela, chère à Placido Domingo. Une magnifique interprétation de "No puede ser" (La tabernera del puerto, Sorozábal), entre autre, rappelle un passé lumineux de l'interprète. L'émotion affleure et le public repart comblé, après avoir longuement manifesté son admiration et sa joie de retrouver la musique ainsi servie.