Oreste de Haendel, numéro de haute voltige au Théâtre des Champs-Elysées
Il faut montrer patte blanche pour entrer dans le Théâtre des Champs-Élysées, les nouvelles consignes sanitaires pour les grandes salles obligeant le public, en plus du port du masque, à se présenter en possession d’un pass sanitaire, et les exigences sanitaires ont également des répercussions sur le programme : dans le cadre d’une tournée, l’œuvre (initialement prévu au TCE le 13 novembre dernier) a dû être écourtée afin d’adapter la durée du concert aux différents couvre-feux en cours dans les différents pays visités.
La version de concert, en plus de s’adapter aux contraintes sanitaires, souligne également la structure de l’opera seria : une ouverture et une succession d’airs entrecoupés de récitatifs. De ce fait, les six solistes entrent et sortent de scène au gré de leurs interventions, se postent derrière des pupitres espacés et se côtoient juste le court temps des récitatifs, d’un duo, se rejoignant tous uniquement pour le finale. Chaque air devient ainsi un numéro (la narration passant au deuxième plan) révélant l’expressivité et la virtuosité des chanteurs, ce qui, comme attesté au temps de Haendel, enthousiasme l’auditoire qui applaudit à la fin de chaque prestation.
Oreste met également en évidence un autre phénomène perdurant à travers les siècles : le recyclage. À l’exception des récitatifs et des musiques de ballet, tout y est emprunté et/ou repris d’autres œuvres. Haendel, très sollicité et face à des contraintes de délais, puise dans ses opéras ou ses cantates antérieures, changeant parfois les paroles (« Lucide stelle » tiré du Rodrigo devient « Sento nell’alma mia » dans Oreste), ou utilisant même la version originelle telle quelle. L’action dramatique évoluant uniquement dans les récitatifs, chaque air est choisi en fonction de son potentiel dramatique pouvant être aisément interchangeable (air de fureur, air de vengeance, etc.) et mettant en avant l’exploit individuel des interprètes, comme c’est à nouveau le cas ce soir.
La performance du contre-ténor Franco Fagioli (Oreste), connu pour sa virtuosité, est très appréciée. Le chanteur brille dans des airs de bravoure aux vocalises redoutables. Il privilégie les effets théâtraux (voire caricaturaux), passant abruptement de la voix de tête au registre de poitrine lorsqu’il évoque les terribles Érinyes (déesses infernales) dans son premier air « Pensieri, voi mi tormentate », en conservant, cependant, une posture tendue, les épaules et les bras constamment soulevés. Ses prouesses vocales vont alors crescendo : il émet des suraigus assurés et projetés, il rejoint la voix de baryton en un temps record, puis propose une ligne vocale d’une grande suavité. L’interprète semble très heureux dans son dernier air (« In mille dolci modi »), d’avoir retrouvé femme, sœur et ami, s’amusant beaucoup, prenant à partie les instrumentistes ou faisant durer infiniment un trille. Il est ovationné à la fin de chacun de ses airs par le public ravi.
En opposition, la soprano Siobhan Stagg incarnant Ifigenia (la sœur d’Oreste), offre une prestation dominée par la douceur comme l’annonce d’emblée son premier air « Bella calma ». Son timbre onctueux légèrement voilé dans le médium révèle un chant plaintif empreint de tendresse. Lorsqu’elle conjure Oreste de fuir, ses vocalises et ses aigus sont teintés d’une souplesse constante. Cependant, elle peine à intensifier son émission et à se fâcher vocalement lorsque le Capitaine de la garde du Roi lui propose un marché offensant.
Julia Lezhneva prête sa voix de soprano très contrastée au rôle d’Ermione, l’épouse d’Oreste. Son timbre corsé lui assure une présence vocale sur toute son étendue et elle repousse les avances du Roi Toante dans une agilité irréprochable. Affligée par son sort, son chant épouse une nuance extrêmement piano qui s’intensifie dans un bel engagement dramatique accompagné cependant d’une certaine raideur dans le haut de sa tessiture. La douceur des mélismes évoquant la plainte est maintenue (davantage que la couleur des voyelles les produisant), elle se distingue cependant stylistiquement de ses partenaires en prenant très souvent les notes par en-dessous, fragilisant ainsi la précision de la justesse avec l’ensemble orchestral.
Krystian Adam incarne Pilade, l’ami d’Oreste, de sa voix de ténor au médium développé et à l’intensité touchante. De façon saisissante, il délivre du bout des lèvres, au bord de la voix, l’air « Caro amico, a morte io vo » lorsqu’il veut sauver Oreste et vocalise honnêtement en faisant face au Roi Toante. Ce dernier est interprété par le baryton Biagio Pizzuti. Son timbre précis agrémenté d’une certaine puissance sied au personnage de méchant. Sa vocalité franche et l’intensité de ses vocalises rendent plausible son caractère menaçant. La voix ronde et enveloppante de la contralto Margherita Maria Sala la rend également crédible en Capitaine des gardes (rôle travesti) et bien qu’intervenant dans un seul air, sa prestation est appréciée du public.
La théâtralité exacerbée est également entendue à l’orchestre galvanisé par Maxim Emelyanychev. Dirigeant de son clavecin, il peine à tenir en place et tape du pied impétueusement afin de transmettre toute sa vivacité à l’ensemble Il Pomo d'Oro. Les instrumentistes le suivent et s’en amusent, rendant la vitalité de la musique Haendelienne dans toute sa variété.
Sans mise en scène, sans machine ni ballet, la musique du maître et la prestation des artistes galvanisent l’auditoire qui, à force d’applaudissement, obtient en bis le finale de l'œuvre.