Madame Butterfly en Plein Air émeut les cerisiers du parc de Sceaux
Cette tournée commence ainsi au Domaine de Sceaux, l'opéra aux saveurs exotiques gagnant le cœur du public sous un ciel doré au soleil couchant, et reçoit une standing ovation. Si l’œuvre avait reçu à la création milanaise en 1904 des sifflets et désapprobations (entraînant certes des changements dans la partition), il fascine à nouveau le public ce soir, aux larmes.
L’Orchestre et les chanteurs d’Opéra en Plein Air sont amplifiés pour permettre un bon rendu sonore dans ces lieux immenses, mais même si les microphones ne peuvent pas capter tous les paramètres acoustiques du son lyrique et instrumental, le résultat est néanmoins très équilibré et sonne avec naturel.
Le chef d'orchestre Dominique Trottein souligne le lyrisme subtil et la sensualité musicale ainsi que les caractéristiques psychologiques et le dramatisme exprimés par les personnages. L'orchestre, incorporé dans la scène, comme dans une boîte à musique, accompagne et soutient les voix des chanteurs pendant chaque moment de l'opéra, aussi bien pendant le déroulement de l'histoire, que lors des grands épisodes vocaux. L’orchestre ne s'impose pas, mais accompagne, à la fois discret et plein de pathos, l'écoulement du temps. Le chœur à bouche fermé, l’un des moments les plus marquants, déploie d’autant plus son intensité émotive dans une scène au décor basique (avec même des choristes cachés). Dans cette désolation, qui laisse pressentir la fin tragique de l'héroïne, le spectateur peut seulement entrevoir Cio-Cio San, qui s'endort au crépuscule. D’autant que ce soir le « Coro a bocca chiusa » n’interrompt pas la représentation avec la conclusion du deuxième acte, mais fait un pont vers la scène suivante, celle de l’aube, engageant directement le magnifique intermède orchestral.
Olivier Desbordes propose une mise en scène plutôt classique et sobre, basée davantage sur l'action dramatique et la capacité interprétative des acteurs, qui mettent chacun en valeur le caractère de leur personnage. Même s'il n'apporte aucune action novatrice et si les scènes se déroulent toujours autour de la petite maison de Cio-Cio San, la force de cette mise en scène repose sur le respect complet de la trame et de la musique de Puccini qui, seule, peut assurer la réussite de toute représentation. Si le spectateur peut être habitué à voir un espace visuel fait de cerisiers et de papillons de toutes les couleurs, il se retrouve ici face à une scénographie (de Ruth Gross) très épurée : un chemin en bois mène à une petite maison, et laisse en fait goûter toute la beauté scénographique du Château de Sceaux.
Diane Belugou propose des costumes très fidèles à la tradition japonaise. De beaux kimonos aux couleurs flamboyantes pour les dames et plus sobres pour les hommes, une sorte de furisode (à longues manches) pour le mariage de Butterfly et même des yukata pour les vêtements de nuits plus détendus de Cio-Cio San.
La soprano Serenad Burcu Uyar enchante le public grâce à un mélange de qualités rares chez une même interprète. Le riche son de sa voix, avec des filato à couper le souffle du public, est mis en valeur par une technique agile, mais aussi par une musicalité raffinée (à l’image de la plume de Puccini). D’autant que son jeu d'acteur rend plus pénétrante encore son interprétation, même lorsque la célèbre aria "Un bel di vedremo" pourrait voir son dramatisme amoindri par une vitesse trop soutenue. La soprano donne pourtant une touche dramatique avec sa gestualité corporelle et, bien sûr, avec une prononciation de l'italien impeccable.
Denys Pivnitskyi est un jeune Pinkerton puissant, avec un timbre et un registre aigu très caractérisé (qui pourra gagner encore en raffinement). Sa maigre présence scénique est éclipsée par une excellente diction de l'italien, le ténor s’y appuyant pour gagner en intensité expressive et interprétative.
La mezzo-soprano Irina de Baghy, très généreuse, offre une interprétation à la fois vocale et dramatique en Suzuki. Sa technique très naturelle et sa prononciation de l'italien lui permettent de centrer parfaitement le chant et le personnage, sur le réconfort et la protection de la protagoniste. Le baryton Kristian Paul, avec une voix caressante et résonnante, sauve l'honneur de Sharpless. Le Bonzo profond de Steeve Brudey-Nelson est impressionnant dans son jeu d'acteur, mais faillit dans l’italien qui ne s'accorde pas avec ses riches capacités vocales. Le ténor Yassine Benameur est un très sympathique Prince Yamadori doué d'une voix homogène et d’une présence scénique intéressée. Le Goro d’Eric Vignau est grinçant, mais l'expérience du ténor rend pleinement son personnage.
Enfin Kate Pinkerton (Analia Telega), a comme tous les personnages secondaires la tâche difficile de s’épanouir avec quelque brèves phrases musicales, mais s’appuie sur son jeu et la promptitude vocale de son appareil.
Elle contribue ainsi pleinement à convaincre les spectateurs et à déployer leur empathie pour la douleur extrême de Cio-Cio San. Dans la commotion sentimentale d’une ovation publique, même les cerisiers du parc de Sceaux semblent pleurer.