Moment de Paix à Radio France avec Asmik Grigorian et Matthias Goerne
Dans ce concert en forme de double mouvement, avec d’un côté un Quintette de Mozart et de l’autre la Symphonie n°14 de Chostakovitch, les lignes mélodiques portées par les voix d’Asmik Grigorian et Matthias Goerne comme par les musiciens dessinent un moment de musique beau et apaisé.
Le choix de ce programme en apparence hétéroclite est en réalité motivé par une importance accordée à la musicalité. Si Mozart et Chostakovitch n’ont a priori pas tellement d’éléments en commun, ici, dans le Quintette pour clarinette et quatuor à cordes en la majeur (K 581) comme dans la Symphonie n°14 en sol mineur (op 135), se retrouve ce même souci de la ligne mélodique pure. Pour ces pièces, les deux compositeurs ont abandonné les grands effets de manche qui font parfois leur réputation, pour se concentrer sur la musique elle-même, tout en nuance, et avec des effectifs réduits. Dans ce vis-à-vis, les deux œuvres semblent particulièrement harmonieuses car elles partagent aussi des thématiques proches. En effet, Chostakovitch annonce qu’il s’agira d’une œuvre « sur la mort », tandis que Mozart fait un hommage à sa loge maçonnique : dans les deux cas, une réflexion en forme de vanité sur le temps qui passe et ses symboliques.
Première étape de ce cheminement spirituel, le Quintette de Mozart met particulièrement en valeur le jeu de l’altiste Marc Desmons, dont la maîtrise technique et musicale donne du sens à la complexité mélodique du morceau. De manière plus générale, les musiciens réussissent à s’emparer de leurs parties respectives tout en travaillant l’harmonie de la pièce, et déployant la musique de chambre tout en finesse. Dans la Symphonie, Mikko Franck continue cette démarche délicate avec une direction précise et donnant sa place à chacun. L'engagement des instrumentistes est remarqué, parmi lesquels la violoncelliste Nadine Pierre dans ses (nombreux) soli. L’attention de Mikko Franck envers l’orchestre est aussi portée à l’équilibre sonore, et tout en jouant avec les musiciens il laisse une ample place aux chanteurs.
Asmik Grigorian et Matthias Goerne sont tous deux des techniciens -et des musiciens- d'exception, mais ils ne trouvent pas vraiment un équilibre entre eux. Le timbre caverneux du baryton est en effet parfois trop éloigné de la chaleur très pure des aigus de la soprano. Individuellement, les chanteurs montrent cependant tout leur talent. Matthias Goerne (qui interprète ici la Symphonie n°14 après avoir interprété la Symphonie n°13 en ce même lieu avec les mêmes musiciens) joue ainsi avec les sonorités des contrebasses dans le « duo » du De Profundis. Toujours très juste, avec un phrasé ample, sans jamais de souffle mais au contraire une grande tenue, les choix musicaux du chanteur semblent toujours justifiés et s’inscrivent dans une compréhension intime de l’œuvre, malgré un certain manque d’investissement vis-à-vis du public (tandis qu'Asmik Grigorian choisit, elle, d’extérioriser davantage ses sentiments). La soprano (dans la foulée de son Instant Lyrique) s’inscrit en effet dans une dynamique virtuose, bien que tout en modestie, et sa puissance dans les aigus impressionne. Elle n’hésite alors pas à prendre des risques, en assumant le texte de Chostakovitch, et tous ses sens, notamment par des jeux sur les répétitions, avec un travail sur les nuances et les dynamiques.
Le concert se conclut sur le finale de la Symphonie. Si le morceau met moins en valeur les chanteurs, il remet au devant de la scène une envie d’harmonie explorée avec simplicité tout au long du concert, et saluée par le public : une standing ovation conclut le concert, comme un dernier et nouvel au revoir.