Roberto Alagna ouvre le Festival de Saint-Denis : miraculeuse Basilique
Ce concert d’ouverture est un évènement d’exception, Roberto Alagna se produisant pour la première fois au Festival de Saint-Denis : un moment très attendu par un public enchanté de pouvoir de nouveau participer au rituel du concert et applaudir la vedette internationale.
Le programme rassemble des œuvres très variées ayant cependant, pour la plupart, un lien avec l’univers sacré. Panis angelicus de César Franck, Ave Maria de Franz Schubert (produisant le miracle de ramener la lumière en panne après le premier air), et l’air d’église de Stradella (Pietà, Signore) prennent toute leur place dans cette Basilique des Rois. Le récit extrait de L'Enfance du Christ, que Berlioz nommait « Ma petite sainteté », évoque le repos de la sainte famille. L’air « Ah ! Tout est bien fini… Ô Souverain, Ô Juge, Ô Père » extrait du Cid de Massenet est une prière rendue par Rodrigue avant la bataille, avant que le Lohengrin de Wagner n'apporte le miracle avec ses secrets et ses mystères, lui qui y est nommé « l’envoyé de Dieu ». Trois pièces orchestrales sont également insérées au programme. En ouverture l'Intermezzo extrait de la suite L'Arlésienne de Georges Bizet permet à l’orchestre de trouver une cohérence sonore dans l’unisson initial. L'Entr’acte n°3 extrait de Rosamunde de Franz Schubert offre au chanteur l’occasion de souffler et le Prélude de Lohengrin précède les trois airs du rôle-titre.
Roberto Alagna choisit ainsi d’interpréter des airs et des rôles connus à son répertoire, qu'il a soit enregistrés soit interprétés sur scène (voire ressuscités). Il était Rodrigue dans la production du Cid de Massenet à Marseille en 2011 et Paris en 2015, participant ainsi à la redécouverte du répertoire lyrique national. Puis il ajouta récemment le rôle de Lohengrin à son palmarès (faisant ses débuts dans le répertoire allemand). L’ordre des morceaux interprétés offre une montée en puissance dramatique, de la mise en voix avec Stradella jusqu’au pic d’intensité avec Wagner. Reconnu dans le répertoire italien et français du XIXème siècle, c’est avec toute sa maturité vocale que le ténor aborde le répertoire wagnérien, d’autant plus que Lohengrin est considéré comme le plus italien des opéras de Wagner (si Wagner expérimente le principe de la mélodie continue, pour le personnage de Lohengrin, il a recourt à une structure plus traditionnelle de l’air qui peut ainsi être isolé et interprété seul, comme ici).
Roberto Alagna se présente en grande forme en offrant une prestation généreuse et sincère. Sa voix résonne jusqu’au fond du chœur de la basilique, sans jamais être couverte par l’orchestre symphonique, et au fond du cœur du public qui l’ovationne après chacune de ses interventions. Il interprète chaque air avec franchise, la voix toujours projetée, rendant précieux les sons piano en voix mixte (« jour éternel » dans l’air de Rodrigue ou encore chaque fin de phrase en diminuendo dans l’air de Lohengrin « l’adieu au cygne »). Son habitude du répertoire italien et de son phrasé particulier (pour souligner le legato et soigner le passage d’une note à l’autre, les sons ne sont pas toujours émis sur la hauteur précise) le font prendre les notes de départ en dessous. Cependant sa vocalité n’est jamais amollie tant sa projection est présente. Et c’est dans l’intensité accrue qu’il rayonne au maximum (l’adieu à Elsa) émettant des aigus insolents sur le mot « Graal ».
L’Orchestre national d’Île-de-France déploie sa sonorité voluptueuse dans une belle palette de nuances. Les pages choisies mettent en valeur les différents pupitres, révélant des instrumentistes de haut rang sachant aussi se fondre dans la cohérence d’un son commun. David Giménez indique la densité du son souhaité d’une gestique très sobre et sa stabilité physique favorise la clarté du discours musical, restant précis dans l’acoustique réverbérante de l’édifice. Le prélude de Lohengrin peut alors partir des nimbes célestes (sons harmoniques aux violons), s’incarner progressivement et se déployer dans toute la splendeur du tutti.
Le crescendo d’intensité dramatique évolue de pair avec celui des applaudissements du public, s’achevant en une « standing ovation ». Roberto Alagna, heureux, le gratifie de deux bis, L'Ave Maria de Gounod et un Notre Père qu’il chante a cappella, les yeux fermés, paraissant en appeler à toutes les forces bienfaitrices de la musique pour qu’elles nous délivrent du mal et adoucissent les temps à venir.