Barbara Hannigan, étoile des années 1930 à la Philharmonie
Ce programme en apparence très éclectique est un petit voyage dans le temps de l’entre-deux-guerres, moment intense d’émulation artistique et, paradoxalement, de (re)découvertes avant-gardistes. Barbara Hannigan choisit ici de se concentrer sur un aspect particulier de cette époque, avec deux ballets chantés, Pulcinella et la Gaîté parisienne, le premier de Stravinsky, d’après Pergolèse, le second de Manuel Rosenthal, d’après La Vie Parisienne d'Offenbach. Dans les deux cas, l’argument du ballet est surtout un prétexte pour les compositeurs qui jouent avec les formations et les arrangements, redonnant leur modernité à des œuvres musicales connues et reconnues. Le passage de la forme ballet, très visuelle et en mouvement, à la version orchestre et voix de la salle Pierre Boulez, est cependant un peu délicate, et les efforts d’interprétation des chanteurs, notamment de Julia Dawson, ne compensent pas entièrement ces manques. Barbara Hannigan renverse alors le paradigme avec Youkali et pour bis Lost in the stars, de Kurt Weill : habitant la scène par sa présence et son exceptionnel sens du rythme, la cheffe et chanteuse se fait alors danseuse, pour le plus grand plaisir des spectateurs.
Pour ce concert, Barbara Hannigan s’appuie sur l’Orchestre Philharmonique de Radio France en grande forme. Un peu sur ses gardes pendant Pulcinella, avec quelques problèmes de balance sonore, l’orchestre s’amuse énormément dans la Gaîté parisienne (mention spéciale aux contrebassistes et à la violoncelliste Catherine de Vençay, qui font danser le French Cancan à leurs instruments). Barbara Hannigan tisse visiblement une belle complicité avec les musiciens, notamment avec les vents, parmi lesquels le jeu des bassons et des trompettes sort du lot, tout comme les performances irréprochables d’Hélène Collerette, premier violon solo très sollicité durant tout le concert.
Les interventions brèves des voix ne permettent alors pas réellement aux chanteurs de s’imposer, et ils restent en retrait. Le ténor Ziad Nehme manque ainsi de souffle, et de puissance, dans la Serenata de Pulcinella, d’autant plus dans les échanges avec le hautboïste Olivier Doise, qui prend le dessus musicalement. Le timbre du chanteur, un peu faible et soufflant, n’arrive en effet pas à percer. La mezzo-soprano Julia Dawson fait montre d’un grand professionnalisme, en étant toujours juste et régulière, et en donnant du caractère à chacun de ses personnages, mais elle se met trop en retrait dans la Barcarolle avec Barbara Hannigan en soprano, la jeune mezzo restant très appliquée, scolaire. Douglas Williams, lui, sort du lot, avec un charisme et un grand dynamisme dans sa diction précise et volontaire du Lo frate ‘nnamorato de Pergolèse/Stravinsky. Ses interventions puissantes sur une voix chaude et ample lui donnent une forte place face à l’orchestre.
Malgré son aspect disparate, le groupe de chanteurs trouve une véritable cohérence dans les trios, où ils montrent une grande complicité et un équilibre des voix très homogène. Mais en choisissant de privilégier un phrasé ample dans leurs interprétations, les chanteurs en oublient que Pulcinella est, dans la version de Stravinsky, un ballet (le rythme manque souvent).
Barbara Hannigan offre des interventions choisies (ne chantant que dans la Barcarolle et pour Kurt Weill). Après une heure de direction précise et très engagée, elle reste vocalement puissante, avec une justesse parfaite, une voix chaude et ronde, très souple, et surtout, une interprétation musicale toujours aussi investie. Les harmoniques de la soprano viennent en effet de loin, et laissent percevoir la naissance du son – comme en sa terminaison – bien au-delà des limites strictes du sonore : se livrant finalement au public avec simplicité, en toute musicalité.
La chanteuse-étoile de ce programme dansé.