Bernheim et Yende au TCE : la joie de se revoir !
Pretty Yende est la première à entrer sur scène, vêtue d’une ample robe dorée et pailletée qu’elle présente fièrement au public. Les applaudissements affluent alors qu’elle vient se placer à la gauche du chef. Benjamin Bernheim, son collègue et complice, la suit de près et, sitôt placé de l’autre côté du pupitre, s’empresse d’entamer les premières notes du programme.
Toute la soirée défile de la sorte, dynamique et joyeuse, dans une euphorie caractéristique des retrouvailles. Le choix des morceaux mêle intelligemment les rôles au répertoire des deux chanteurs, faisant la part belle au chant français avec Gounod (Roméo et Juliette, Faust) et Massenet (Manon), en passant par le bel canto italien avec Verdi (La Traviata) et Donizetti (Lucia di Lammermoor, L’Elixir d’amour). Sascha Goetzel et l’Orchestre de chambre de Paris proposent deux morceaux musicaux, la Valse de Faust (Gounod) et l’Intermezzo de Cavalleria Rusticana (Mascagni), tous deux joués avec un entrain quasi féroce, renforçant le sentiment euphorique qui, à la fin du concert, fera se lever la moitié des spectateurs.
Le duo de Roméo et Juliette ouvre le spectacle. La voix du ténor, immédiatement projetée, tranchante comme un métal, se pare peu à peu d’une lumière blanche, un brin nasale, qu’elle parvient à conserver sur toute la tessiture et dans toute sa dynamique. Cette homogénéité dans la couleur, aisée en apparence, permet à l’artiste de jouer habilement avec le registre grave et la voix de tête, offrant un chant soigné et musical sans jamais verser dans le maniérisme. S’il sait accompagner son art de gestes précis et évocateurs, la caractérisation des personnages est avant tout vocale et c’est l’une des forces de l’interprète qui, par la souplesse virtuose de son instrument, parvient à dépeindre tantôt la joie émue de Nemorino, tantôt la vaillance passionnée de Faust ou encore la douceur énamourée du jeune Roméo, avec une dévotion et une maîtrise exemplaires. C’est, enfin, la puissance de l’émission, du grave à l’aigu, qui force l’admiration et participe activement au plaisir d’écoute, notamment lors des supplications de Roméo (“Ah ! Lève-toi... Paraît !”), impatient de retrouver Juliette.
Pretty Yende offre quant à elle un timbre riche et brillant. La voix, charnue, peine cependant souvent à dessiner les phrases musicales avec précision, notamment lors de passages virtuoses comme la cabalette de La Traviata (“Sempre Libera”). De plus, des contraintes techniques poussent régulièrement la chanteuse à hacher la ligne de chant, au détriment de l’émission et de la musicalité. Ainsi, l’air des bijoux ou celui de Lucia (“Regnava nel silenzio”) manquent de souplesse et d’homogénéité, le médium de la voix devenant flou et confidentiel à l’inverse du registre aigu qui, quoique percutant, se rétrécit et perd en couleur. Néanmoins, la spontanéité et l’évidente générosité de la chanteuse permettent de contrebalancer ces premières remarques, notamment dans le duo final de Manon où elle déploie un chant expressif et plein de nuances, allant de l’espièglerie à une tristesse désarmante dans le jeu de la séduction.
Il transparaît du jeu des instrumentistes de l’Orchestre de chambre de Paris une joie communicative que la direction du chef viennois ne fait qu’accentuer, au détriment parfois d’une proposition plus romantique des morceaux, notamment dans les phrases du duo de Manon qui auraient pu être plus lyriques et moins précipitées. Néanmoins, la direction est très respectueuse des deux chanteurs et ne se cantonne pas à un accompagnement sans âme puisque Sascha Goetzel sait faire ressortir, çà et là, une phrase ou une note ajoutant à l’émotion et au plaisir éprouvés.
À l’image de Manon et Des Grieux, heureux de se retrouver, le public sort ravi de ces retrouvailles, chaleureusement applaudies.