Bruno de Sá à Gaveau : voix sacrée au service de l'oratorio romain
La musique reprend enfin sa vie et son souffle, pour mieux couper celui du public de la Salle Gaveau face à la performance du sopraniste (homme chantant à la tessiture de soprano). L’excitation visiblement impatiente du public est comblée par le riche programme d’oratorios italien, et plus particulièrement romain : un répertoire du XVIII siècle très sophistiqué composé pour les castrats (Alessandro Scarlatti - La Vergine addolorata et La Santissima Annunziata, Händel - Gloria, Antonio Caldara - Il Martirio di Santa Caterina, Santa Francesca Romana, La castità al cimento ainsi que Flavio Carlo Lanciani - Il Martirio di Sant'Eustachio). Le sopraniste est donc face à l’histoire, celle contemporaine de la reprise culturelle, et celle de la Rome papale des XVIIème et XVIIIème siècles (les chanteuses étant alors interdites de scène, leurs rôles et les tessitures aiguës étaient confiés aux castrats : développant leur excellence d’interprétation et un incroyable répertoire, sacré et à eux consacré).
Le sopraniste Bruno De Sá entre dans cet imposant costume, comme dans sa veste bleu indigo sur sous-pull col roulé magenta, qui ramène déjà visuellement à la Rome des évêques et cardinaux. Dès les premières notes émises par cette voix angélique, le spectateur remonte dans le temps et voyage entre le Palazzo della Cancelleria et le Palazzo Ruspoli (entre autres) à Rome. La voix ne travaille pas un falsetto esthétisé, mais offre en même temps une voix féminine et d'enfant avec une force et une énergie toute virile. Le timbre est très clair et léger, mais le jeune Bruno De Sá est capable d'étonner à tout moment en donnant force et vigueur aux récitatifs comme aux airs qui exigent une action dramatique majeure (qu’il corrobore même par son expression faciale).
Le délié de la ligne laisse visiblement l’auditoire admiratif devant la justesse de la voix, tandis que la facilité des notes extrêmes dans l’aigu déploie les émotions puissantes et surprenantes de ces morceaux choisis. La technique élégante est pétrie d'aisance et offre un résultat sonore entre terrestre et sacré, notamment dans le sommet émotionnel du récital : l'air « Miro che il fiumicello » extrait de la Santa Francesca Romana (Scarlatti), où le sopraniste se mesure une fois encore avec l’hautboïste Guillaume Cuiller, en un dialogue imitatif fait de vocalises et de trilles, exécutées d’une manière impeccable et sensible, alliant la beauté et la dimension descriptive de cette sacrée page musicale.
Thibault Noally, virtuose à son violon, démontre aussi son lien profond avec le répertoire italien en collant parfaitement avec la sonorité chaude et de velours qu’il guide avec son ensemble Les accents. Les jeux d’équilibre se composent entre les graves et les aigus, accentuant la rareté vocale de Bruno De Sá : voix sacrée et sacrée voix.