Hamlet et le romantisme à la française à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège
En octobre dernier, l’Opéra Royal de Wallonie-Liège accueillait Hamlet, opéra en cinq actes d’Ambroise Thomas, dans le cadre d’une co-production avec l'Opéra Comique mise en scène par Cyril Teste (notre compte-rendu salle Favart). Las, l’aventure liégeoise fut brusquement interrompue au terme des répétitions et à l’issue de la générale par la fermeture des théâtres belges du fait de la pandémie. Dans l’attente de sa réouverture, la scène wallonne s’adapte et préserve un lien privilégié avec son public. Cette soirée lyrique, qui sera disponible en streaming du 13 au 23 mai répond pleinement à ces aspirations, au même titre que la production de Traviata présentée le mois dernier ou du récent récital de Saioa Hernandez (nos comptes-rendus). À tout seigneur, tout honneur, il semblait légitime que des extraits d’Hamlet ouvrent le programme avec les interprètes initialement prévus.
À la tête de l’Orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège en grande forme, sur le plein appui de ses cordes, Guillaume Tourniaire, qui devait faire ses débuts in loco avec la production initialement prévue, livre sa version de l’ouvrage et le fruit de son travail. Le Prélude se pare ainsi sous sa baguette de couleurs intensément dramatiques, puissantes, presque crépusculaires. Le ton est donné. Il persistera pour l’accompagnement des airs et duos, comme celui réunissant Hamlet et Ophélie au premier acte, “Vains Regrets !”
Lionel Lhote livre avec brio les deux grandes pages pour baryton de la partition, La Chanson Bachique et le fameux monologue Être ou ne pas être. Doté d’un timbre à la fois mordant et assez clair, il démontre un sens du phrasé, une élégance dans le style et une expressivité de chaque instant qui s’inscrivent sans conteste dans la lignée des grands barytons belges. Il couronne la Chanson Bachique d’un aigu à faire pâlir un ténor de caractère. Le monologue bouleverse par sa sincérité, son souci du legato, un chant qui alterne ombre et lumière. Assurément, un Hamlet majeur.
Si le médium de Jodie Devos doit encore pouvoir s’affirmer, notamment dans le duo avec Hamlet, elle brille intensément dans la scène et air d’Ophélie, “À vos jeux mes amis”, morceau de bravoure pour de nombreuses coloratures. Loin de vouloir juste exposer sa virtuosité et l’insolence de ses moyens dans ce répertoire brillant ou la facilité de ses aigus et suraigus, elle cherche à varier son chant, à lui insuffler l’intensité qui convient dans cette page somme toute dramatique qui mène la jeune fille sur les chemins de la folie et de la mort. La fraîcheur du timbre, sa clarté même, viennent très heureusement compléter le portait brossé.
Hamlet est suivi par Werther de Massenet (sans Charlotte toutefois). Avec musicalité et toute l’innocence requise, Jodie Devos illumine avec justesse l’air de Sophie issu de l’Acte II “Du gai soleil”, avec l’appui assuré de Lionel Lhote (Albert) et Marc Laho (Werther). Ce dernier, au-delà de quelques soucis dans l’intonation et la précision, et au terme d’une déjà longue carrière, démontre qu’il possède encore les moyens de faire face sans vraiment broncher à l’air d’entrée de Werther “Ô nature pleine de grâce” et au “Lied d’Ossian”. La voix épouse la largeur requise et l’intention, même si l’aigu apparaît moins aisé qu’autrefois.
À la suite de cette session à huis clos avec quelques professionnels présents, une dernière partie du concert a été enregistrée avec des extraits des Pêcheurs de perles de Georges Bizet, soit le duo Nadir/Zurga “Au fond du temple saint” et l’air de Zurga, “L’orage s’est calmé”. De même, pour le trio du Toréador d’Adolphe Adam “Ah ! vous dirai-je, maman”.
La retransmission en streaming permettra de découvrir l’intégralité de cette soirée musicale de qualité que Guillaume Tourniaire est parvenu à animer avec un soin constant, avec conviction et toute sa passion pour le répertoire français.