Un V’lan dans l’œil très visuel à Bordeaux
Après Les Chevaliers de la Table Ronde (compte-rendu) et Mam’zelle Nitouche (compte-rendu), le Palazzetto Bru Zane et la troupe des Brigands présentent V’lan dans l’œil de Hervé, toujours dans une mise en scène de Pierre-André Weitz. L’œuvre loufoque et farfelue, souvent joyeusement absurde, multiplie les retournements de situation, les gags et les révélations fracassantes dans un livret qui souffre malgré tout de quelques longueurs dans les parties parlées. La musique chatoyante et festive offre des airs drôlatiques et tyroliens, des ensembles rythmés et des chœurs joyeux : tout ce que l’on peut attendre d’un opéra-bouffe signé Hervé (Louis-Auguste-Florimond Ronger).
C’est, comme souvent en ce moment, face à un parterre de caméras (et quelques professionnels dans les loges) que se donne cette représentation unique, prélude d’une tournée qui offrira, espérons-le, à ce spectacle la possibilité de rencontrer un public en chair et en os et de se rôder par l’enchainement des représentations. Bien sûr, dans ce répertoire plus que dans tout autre, l’absence de réactions, de rires, nuit au rythme du spectacle, ce que les artistes sur scène semblent compenser en forçant leurs exagérations comiques à l’extrême, à la fois dans les parties parlées (ce qui nuit à la compréhension du texte), et dans les parties chantées : pas une page n’est ainsi présentée sans une altération de la voix, une interruption pour laisser place à un effet comique, bref, une prise de pouvoir du théâtre sur la musique. Trop souvent les chanteurs se trouvent à bout de souffle du fait d’une chorégraphie, les ensembles ne sont pas rythmiquement en place, la justesse est laissée de côté, ou certaines phrases musicales sont braillées pour accentuer l’absurdité du propos.
Pierre-André Weitz replace l’intrigue dans un univers de fête foraine, ce qui renforce et justifie l’aspect enjoué du livret et offre le matériel visuel et dramaturgique pour inventer de nouvelles situations comiques. Il signe les décors, malins et gais, ainsi que les costumes, très travaillés, colorés et éloquents. Christophe Grapperon dirige l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine en effectif réduit, mais en gardant une grande richesse de couleurs et un rythme soutenu. Le Chœur de l’Opéra National de Bordeaux en revanche, masqué et distancié, ne peut trouver de cohésion dans ses interventions.
Lara Neumann interprète une Dindonnette excentrique et à la voix fort appuyée, légèrement couverte. La complicité nouée au fil des projets avec Damien Bigourdan (Alexandrivore) se ressent dans leurs interactions. Le ténor dispose d’une voix puissante au son pincé et du phrasé franc d’un chanteur à texte, à la théâtralité exacerbée. L’autre couple est composé d’Ingrid Perruche en Fleur-de-Noblesse très lyrique, au vibrato prononcé et au timbre cuivré, juste dans ses intentions scéniques. David Ghilardi est un Ernest énamouré et maladroit, à la voix claire mais au souffle un peu court.
En Géromé, Pierre Lebon puise sa voix corsée en fond de gorge dans un chant déclamatoire et très théâtral. Si les graves sont difficilement recherchés, le medium est bien projeté. Le Bailli emprunte quant à lui la voix immense mais manquant de contrôle de Jean-Damien Barbin. Flannan Obé campe le Marquis en comédien expérimenté et fin. Olivier Py se travestit en Marquise exubérante et donne de la voix dans un exercice de cabaret qui rappelle ses performances de jadis en Miss Knife. Il participe ainsi de nouveau au projet de son complice Pierre-André Weitz, qui interprète quant à lui un Duc d’en Face grabataire.
Sandrine Sutter (Éclosine), femme à barbe, injecte de la testostérone dans sa voix de poitrine. Le chant de Clémentine Bourgoin (Mariette) a gagné en corps depuis la précédente production. Le trio féminin est complété de Sophie Calmel (Françoise) à la ligne vocale gaillarde. Antoine Philippot (Chavassus) ne dispose que de courtes interventions pour faire entendre sa voix charnue et fleurie, au timbre agréable.
« C’est difficile : sans public, nous ne pouvons pas tester les gags pour les affiner », regrettait un artiste à la sortie du théâtre : souhaitons que les prochaines étapes de la tournée leur offre la possibilité de rencontrer un public en salle, pour le bien des artistes et la joie des spectateurs. En attendant, une version en une heure (contre plus de deux heures lors de la captation) sera retransmise dans quelques semaines sur France 3 Nouvelle-Aquitaine.