Les récitals Met Stars Live continuent en 2021 avec Piotr Beczała et Sondra Radvanovsky
Ce récital de Sondra Radvanovsky et Piotr Beczała était initialement programmé en septembre dernier à Barcelone, comme celui de Joyce DiDonato mais ces événements ont dû trouver un autre lieu et se sont réfugiés artistiquement en Allemagne (alors que l'Espagne est pourtant un Eldorado isolé continuant d'accueillir des concerts tandis que les théâtres sont fermés en Europe, Allemagne incluse).
Mais la culture n'en est plus à une illogique exception près (ici en raison des trajets inter-frontaliers), et tant mieux si c'est pour une exception qui permet pour une fois à un concert de se dérouler. La présentatrice de cette série de récitals, Christine Goerke, rappelle toutefois avec insistance combien le maintien de ces événements ne va pas de soi et il semble en effet toujours incroyable de voir (et d'entendre) la qualité millimétrée à l'américaine du résultat artistique offert (ou plutôt à louer en vidéo à la demande pour 20 $). Le Directeur de la maison Peter Gelb, qui prend toujours quelques instants avant les concerts pour saluer et remercier artistes et téléspectateurs, détaille même un peu en cette occasion l'impressionnant dispositif technique qui doit s'organiser et se réorganiser pour chaque événement : avec une équipe sur place au lieu du concert, une épique à New York, une autre à l'autre bout du pays (État de Washington) et d'autres installés dans des lieux maintenus secrets autour de New York. Peter Gelb explique ainsi un élément concret (parmi d'autres) compliquant la tâche de tous : réalisateur et caméramen étant à plus de 5500 kilomètres de distance et communiquant par satellite, les consignes parviennent avec un délai d'1,5 seconde (une éternité dans le monde de la musique vivante et des réalisations aussi précises). "It takes a village" conclut Goerke (une référence au dicton : il faut tout un village pour élever un enfant).
Le Metropolitan Opera House de New York pensait certainement trouver des conditions plus clémentes sur le Vieux Continent, y programmant ses événements en raison de la situation outre-Atlantique mais tout empire et continue d'empirer hélas. D'ailleurs, non seulement ce concert Sondra Radvanovsky - Piotr Beczała devait-il se tenir en septembre dernier, mais toute cette série de récitals Met Stars Live devait se terminer initialement le 19 décembre 2020 quelques jours avant la réouverture prévue du Met (qui n'aura finalement lieu qu'en septembre 2021 au mieux).
Mais une fois encore le Met a trouvé un endroit exceptionnel, l'a éclairé et filmé avec une expressive subtilité, offrant un écrin à deux voix de renommée mondiale. La Stadthalle -connue pour son acoustique- dans la ville allemande de Wuppertal accueille ce nouvel événement unique. Vidé de ses sièges, le palais musical ressemble à une grande salle de bal viennois appelant les réjouissances artistiques mais plongeant aussi dans les crépuscules, éclairées à la bougie.
Encore et toujours dans cette période, le choix des œuvres résonne avec l'actualité et avec l'éternité, apportant par les émotions lyriques une catharsis musicale à La Force du destin actuel : c'est par cet opus de Verdi, par une prière pour la paix ("Pace, pace, mio Dio") que commence le récital. Sondra Radvanovsky l'attaque vaillamment, offrant justement par sa voix un exemple de résistance et de résilience, d'intensité et de tenues.
Autant de qualités avec lesquelles Piotr Beczała enchaîne également sans transition “Oh! fede negar potessi ... Quando le sere al placido” (Luisa Miller de Verdi). Les accents très appuyés refermant intensément ses cadences ne rompent pourtant pas la douceur contournée de ses phrasés (empruntant une couleur solaire au registre des ballades populaires, grande source d'inspiration lyrique).
L'intensité préside tout autant à leurs duos en forme de retrouvailles, parce qu'ils partagent à nouveau une scène après avoir notamment chanté ensemble Un Bal masqué au Met en 2015. C'est justement avec un duo de cet opus qu'ils se rejoignent à nouveau ici. Le récital se poursuit alors sur le même schéma, les artistes chantant chacun un air d'Andrea Chénier puis se réunissant pour le duo. Ils en feront de même pour conclure le programme avec une ouverture de répertoire en trois temps vers Rusalka. Entre-temps, la soprano américano-canadienne et le ténor polonais auront continué de pousser leurs moyens de plus en plus loin dans les exigences du répertoire vériste (de Manon Lescaut vers Cavalleria Rusticana et Adriana Lecouvreur).
Les deux artistes, même s'ils alternent leurs solos, sont alors confrontés à la fatigue vocale d'un tel (re)tour de chant (notamment en ces temps de pandémie où les calendriers erratiques éprouvent les hygiènes et endurances vocales). Pourtant, Sondra Radvanovsky sait s'appuyer sur l'intelligence de son chant et de son jeu, se ressourçant dans tous les moments de douceur offerts par le piano (la nuance faible) et le piano (l'instrument qui l'accompagne avec délicatesse). Les intensités vocales sont emportées avec énergie grâce à l'incarnation dramatique, aux intensités d'actrice qui confortent l'art de la chanteuse. Piotr Beczała à l'inverse reste distant de ses personnages et son incarnation ne vient pas en soutien de son chant. Il ne compense donc la fatigue vocale atteignant les aigus qu'en ouvrant toutes ses voyelles et bientôt ses phrases. Le ténor retrouve toutefois une vigueur aux accents héroïques ou pour le moins patriotique avec son interprétation de l'opéra polonais Halka (dont nous parlions l'été dernier à l'occasion du récital d'un de ses talentueux compatriotes).
La réalisation prend aussi le temps de valoriser l'accompagnement de Vincenzo Scalera, son piano se montrant expressif même au service constant du chant et dans des nuages de résonances. C'est par l'un de ses grands arpèges cotonneux comme un blanc manteau neigeux et étincelant que se conclut ce concert dans l'obscurité et des saluts silencieux, en attendant le retour de la musique.
Retrouvez nos précédents comptes-rendus de ces récitals Met Stars Live :
Le Metropolitan Opera fête la Nouvelle Année en streaming avec Javier Camarena, Pretty Yende, Angel Blue et Matthew Polenzani
Célébration glacée de Noël avec Bryn Terfel à la Brecon Cathedral
Diana Damrau et Joseph Calleja, sacré duo en récital Met Stars Live
Joyce DiDonato en récital Met Stars Live : une mezzo dans les étoiles
Lise Davidsen, le lyrisme scandinave en direct de son Palais d'été
Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak, couple étoilé et coucher de soleil sur la Côte d'Azur
Renée Fleming, le retour de la Maréchale
Jonas Kaufmann inaugurant la série de récitals planétaires en direct
et rendez-vous pour les prochains :
Samedi 6 février : Anna Netrebko, en direct depuis le Palais Liechtenstein à Vienne, Autriche
Samedi 27 février : Sonya Yoncheva avec Malcolm Martineau en Allemagne
date non encore annoncée : Angel Blue en direct depuis New York City