Plongée dans les répétitions du Voyage dans la Lune à Montpellier
Avant même les annonces de Jean Castex tirant un nouveau trait sur la réouverture des salles de spectacle, la décision était prise de poursuivre jusqu’au bout les répétitions de ce Voyage dans la Lune d’Offenbach concocté par le CFPL, afin que la production soit prête pour les futures étapes de sa tournée : les représentations de Nancy ayant d'ores-et-déjà été annulées, les premières dates devraient être, si les théâtre peuvent rouvrir d'ici-là, les 12 et 13 février à Compiègne, avant Tours en mars et Toulon en avril. Tour à tour, les deux distributions réunies pour cette superproduction avaient donc droit à leur répétition générale.
L’intérêt d’avoir assisté à ces deux séances de travail est double : il permet de témoigner de la progression de l’ensemble des artistes impliqués et de rendre compte des spécificités de chacune des deux troupes. De fait, et c’est bien normal à plusieurs jours d’une première annulée, la première répétition laisse apparaître de nombreux axes de progression, qu’il s’agisse des dynamiques de l’orchestre, de la cohésion des chœurs, du rythme des dialogues parlés, de l’aisance des solistes.
Comme il l’explique dans notre dossier consacré à cette production, Olivier Fred place l’intrigue sur un plateau de tournage, les danseurs-acrobates figurant les techniciens qui s’affairent pour que chaque accessoire soit à sa place au moment voulu. Ce concept est plutôt bien conduit et se renouvelle pour éviter les effets de lassitude, mais la toute fin (l’explosion volcanique ramène les acteurs du film dans la vraie vie) manque toutefois de clarté. Les costumes de Malika Chauveau sont excentriques à souhait (avec une mention spéciale pour les costumes d’éponge et de lampe respectivement pour Popotte, la « femme pratique », et Flamma, la « femme décorative »), les trouvailles comiques nombreuses (et qui seront d’autant plus percutantes que le rythme global se fluidifiera). Le livret ayant été considérablement réduit, certains enchainements sont abrupts, ce qui fait espérer qu’une version post-Covid puisse émerger au reflux épidémique.
L’Orchestre national Montpellier Occitanie, placé sous la baguette de Pierre Dumoussaud, joue en effectif réduit, distanciation sanitaire oblige, ce qui génère un son plus sourd et plus individualisé, même si l’enthousiasme des pages les plus vives permet d’obtenir des sonorités plus homogènes. Certains tempi manquent encore de folie à ce stade du travail (l’air du voyage notamment), mais cela aussi sera sans doute peaufiné. Le Chœur de l’Opéra, masqué et lui aussi distancié, offre la plus grande progression entre les deux répétitions, pour gagner en rectitude rythmique et cohésion.
Dans le rôle du Prince Caprice, la mezzo-soprano Violette Polchi, qui gagnera encore en spontanéité au fil de la tournée, chante avec finesse la longue partition qui lui est confiée. Sa voix charnue et satinée s’enlace à merveille avec celle de Fantasia dans le duo des pommes. Le vibrato est rond, les aigus emplissent la salle vide de l’Opéra Comédie, tout comme l’énergie de l’interprète. La soprano Marie Perbost s’appuie sur de larges médiums et des aigus très épanouis. Son phrasé lyrique et nuancé va de pair avec l’engagement scénique dont elle imprègne chaque phrase.
Véritable bulle de champagne, Sheva Tehoval interprète une Fantasia fantasque et enjôleuse, voire cabotine. Son chant reste constamment théâtral : elle rugit, gronde, rit et feule, jusque dans d’agiles vocalises qu’elle charge de sens, ses trilles fins et nourris surfant sur un timbre riche et coloré. Plus sage mais très attentive à l’esthétique de sa ligne vocale, Jeanne Crousaud dispose d’une voix fine aux vocalises pointues et aux trilles tranchants. Le timbre est cristallin, ce qui offre des aigus acérés.
Matthieu Lécroart est un Roi V’lan bonhomme et jovial, chanté d’une voix corsée. Jérôme Boutillier apporte quant à lui le dynamisme d’une diction accentuée, d’une projection vigoureuse, d’un théâtre s’autorisant une part d’improvisation. Sa voix est riche en timbre et bien assise. En Microscope, Raphaël Brémard tend, en cette répétition, à se précipiter dans son élocution, les bons mots du livret ne trouvant dès lors pas le bon rythme pour être pleinement percutants. Sa voix, placée dans le masque, est émise avec vigueur. Eric Vignau prend un air cérémonieux qui l’oblige à mieux poser son texte et son ténor de caractère.
Quipasseparlà, qui intervient de manière continue sous forme de clins d’œil, prend les traits de Pierre Derhet, à l’aise scéniquement et dont le chant est dynamisé par un ténor chaud et corsé, bien projeté (même si l’aigu manque parfois de stabilité). Enguerrand de Hys s’engage dans une démonstration comique, sans perdre en qualité vocale : ses belles lignes s’appuient sur un long souffle et s’épanouissent dans un aigu final bien projeté. La Flamma de Ludivine Gombert, bien que pas encore callée rythmiquement, offre une ligne vocale travaillée et un timbre chaud et sombre, aux reflets argentés. Jennifer Michel dispose d’un medium généreux, la voix, cuivrée, s’affinant dans l’aigu.
Les coupes exercées dans le livret laissent peu de place aux autres personnages. Popotte est croquée par une Marie Lenormand qui sait manier le comique de son personnage, puis par Cécile Galois, drolatique mais dont la voix manque de volume. Cosmos trouve en Thibaut Desplantes un interprète bien articulé et à la voix mate et profonde et en Erick Freulon un personnage affable et une voix de caractère. Enfin, en Cactus, Christophe Poncet de Solages et Pierre-Antoine Chaumien s’acquittent de leur partie avec engagement.
Co-produit par 16 maisons françaises, ce spectacle tournera durant près de trois ans : l'occasion de suivre sur Ôlyrix l'évolution d'un spectacle joué dans la durée.