Le Metropolitan Opera fête la Nouvelle Année en streaming
Chacun de ces récitals est filmé dans un lieu d'exception, et pour le Réveillon le choix s'est porté sur le Parktheater de Göggingen (associant une fois encore tradition et modernité, puisqu'il s'agit du plus ancien théâtre de verre et d'acier d'époque encore fonctionnel). D'autant que le choix d'un lieu en Allemagne permet de commencer le concert à 22h heure locale et de mener ainsi aux 12 coups de minuit en Europe tout en poursuivant la tradition des représentations (même virtuelles) en matinée outre-Atlantique. Et puis, comme le rappelle la présentatrice Christine Goerke, avec l'Opéra c'est toujours l'heure du Champagne (Champagne o'clock).
L'événement est festif mais aussi tristement endeuillé : à l'image de cette année 2020 sur laquelle les responsables du Met tournent la page sans regrets. Peter Gelb est en costume noir comme le deuil (avec l'insigne de sa Légion d'honneur française, lui qui est également Officier dans l’ordre des Arts et des Lettres en 2010) pour la présentation d'avant-concert, et le Directeur invite le télé-spectateur dans ce merveilleux théâtre, mais vidé de ses sièges.
Le récital porté par un quatuor de stars, commence toutefois immédiatement en champagne, avec les bulles en forme des contre-ut du fameux air de La Fille du Régiment. Son interprète actuel de référence (outre Juan Diego Flórez), Javier Camarena qui en a fait son tube en scène comme en confinement relève une fois encore le défi et saute ces obstacles suraigus avec placement et couleurs (rajoutant même deux contre-ut supplémentaires).
Pretty Yende lui emboîte le pas avec la même œuvre pour l'air “Chacun le sait” lui aussi empli de piquantes vocalises. La soprano sud-africaine ne parvient pas à commencer ainsi d'emblée par tant de suraigus (serrés, les derniers des phrasés échappent à la justesse), mais elle campe immédiatement le personnage et déploie ainsi progressivement la voix avec un accent aussi tendre que ses phrasés. Le choix de cet air, outre que l'opus permet à Pretty Yende et à Javier Camarena d'exprimer leur virtuosité en solos (puis en duo avec “Quoi ! Vous m’aimez ?”, avant d'autres airs ensemble) révèle aussi toute sa pertinence puisqu'il permet de chanter "Le beau 21e !" (le régiment dans l'œuvre de Donizetti mais de fait en cette occasion le 21e siècle et l'an 2021). Pretty Yende retrouve ensuite l'agilité de ses vocalises et la clarté appuyée de son timbre dans l'air “Una voce poco fa” (Le Barbier de Séville qui l'avait faite découvrir à l'Opéra de Paris). Javier Camarena à l'inverse glisse un peu sur les vocalises moins aiguës mais plus rapides de “Sì, ritrovarla io giuro” (La Cenerentola de Rossini), mais ce rôle princier lui permet de prendre des contours suaves s'accordant avec sa voix constamment pincée.
Angel Blue et Matthew Polenzani entrent eux aussi par un solo chacun et le duo du même opus, interprétant la rencontre en trois temps de La Bohème. Le choix convoque là encore les aigus et l'amplitude vocale ainsi que l'esprit de ce Gala (cet opéra de Puccini se déroulant lors d'un Réveillon, cette rencontre entre Mimi et Rodolfo signant un amour fulgurant et tragique). La soprano américaine s'épanouit pleinement dans ce rôle avec lequel elle fit ses débuts au Met (dans la mise en scène de Zeffirelli en 2017, y revenant l'année suivante en Musetta, puis reprenant le rôle de Mimi de part et d'autre de l'Atlantique). Angel Blue vient ensuite caresser les graves et allonger encore son souffle, sur celui “D’amor sull’ali rosee” (Le Trouvère qu'elle aurait dû prendre en début de saison à Los Angeles).
Matthew Polenzani qui incarnait Rodolfo au Met l'année dernière (toujours dans la version Zeffirelli) est plus en difficulté. Le ténor ayant une assise assurée, il appuie mais force un peu la voix dès lors serrée et aux phrasés tendus. Cette intensité n'est toutefois plus excessive lorsqu'elle lui permet d'emmener le quatuor vocal de La Rondine (“Bevo al tuo fresco sorriso”).
Toutefois, le choix des tessitures égales, deux par deux pour ces quatre artistes (deux ténors et deux sopranos), et même si chacun de ces solistes a ses qualités propres, limite la diversité du programme en enchaînant les duos sopranos-ténors. Les opus sont différents mais ils associent toujours la même paire (ce qui limite les contacts, sauf que dès les répétitions, les quatre artistes chantent côte-à-côte les quatuors, et le Met rappelle que toutes les consignes et protocoles sont strictement respectés). Surtout la fusion de ces tessitures égales mène, dans les quatuors, les ténors et les sopranos à une forme de duels (à qui chantera le plus fort).
La surenchère se fait toutefois enthousiasme lyrique pour le grand final avec trois tubes chantés à quatre : "O sole mio", "Libiamo" (de La Traviata) et le traditionnel “Auld Lang Syne” (Ce n'est qu'un au revoir) avec champagne et canon à cotillons.
Les airs sont accompagnés avec vigueur et dévouement par la pianiste française Cécile Restier (qui accompagnait également la Grande Soirée Unisson), ainsi que le Vienna Morphing Quintet (qui a pris l'initiative d'arrangements chambristes aussi inspirés que pour le récital Met Stars Live de Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak au coucher de soleil Méditerranéen), au grand dam toutefois des musiciens du Met. Ce gala s'achève en effet dans une ambiance à la fois triste et festive, celle de ces airs spectaculaires et de ces vœux adressés du fond du cœur à une salle vide : de quoi prolonger encore ces sentiments contrastés. S'il permet de sauver des activités pour la maison et d'engranger quelques subsides (le récital est au prix de 20$), l'événement et le cycle frustrent les artistes de la maison, au point même que le syndicat de l'Orchestre du Met et l'Association Américaine des Musiciens ont publié un communiqué dénonçant avec des mots très virulents ce Gala qui embauche des instrumentistes extérieurs à la maison, quand les titulaires ne sont plus payés depuis des mois. Une polémique à laquelle le Met n'a pas encore répondu et qui s'ajoute à ses nombreux chantiers pour 2021 (espérant que la réouverture puisse effectivement avoir lieu en septembre, la maison négocie des coupes salariales de ses personnels sur le long terme afin de maintenir la "notation" de ses emprunts bancaires et sa situation financière).
Retrouvez nos précédents comptes-rendus de ces récitals Met Stars Live :
Célébration glacée de Noël avec Bryn Terfel à la Brecon Cathedral
Diana Damrau et Joseph Calleja, sacré duo en récital Met Stars Live
Joyce DiDonato en récital Met Stars Live : une mezzo dans les étoiles
Lise Davidsen, le lyrisme scandinave en direct de son Palais d'été
Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak, couple étoilé et coucher de soleil sur la Côte d'Azur
Renée Fleming, le retour de la Maréchale
Jonas Kaufmann inaugurant la série de récitals planétaires en direct
et rendez-vous pour les prochains :
Samedi 23 janvier : Sondra Radvanovsky et Piotr Beczała, en direct depuis Barcelone, Espagne
Samedi 6 février : Anna Netrebko, en direct depuis le Palais Liechtenstein à Vienne, Autriche
Samedi 27 février : Sonya Yoncheva avec Malcolm Martineau en Allemagne
date non encore annoncée : Angel Blue en direct depuis New York City