La Dame blanche revisitée en fable animalière, captée à l’Opéra de Rennes
La compagnie de la co[opéra]tive se donne pour mission de populariser l’opéra en le sortant des idées préconçues. C’est dans cet esprit qu’il confie pour le premier opus lyrique de la metteure en scène Louise Vignaud un opéra-comique à la langue et aux longues scènes dialoguées quelque peu datées: La Dame blanche au goût typiquement XIXème siècle.
Pour proposer une mise en scène adaptée au public d’aujourd’hui et à notre société de façon plus large en inventant une recette légère et réjouissante (en apparence), Louise Vignaud choisit la fable et met en scène des animaux personnifiés. La Dame blanche devient une chouette blanche, symbole des contacts avec les esprits et messagère d’un changement. Georges Brown (Julien) l’héritier du château, disparu puis devenu soldat amnésique, prend ainsi l’apparence d’un oiseau quelque peu déplumé revenant dans le nid après en être tombé. Son rival sur le point d’acquérir le château abandonné, Gaveston, ancien intendant devenu riche sans fortune personnelle s’est métamorphosé en un élégant scarabée. La gardienne du château Marguerite, fidèle et persuadée que ses maîtres reviendront, est une araignée tissant sa toile pour capturer les intrus mais aussi dans l’espoir de relier les générations. Les fermiers fidèles à leur seigneur ont l’apparence d’un troupeau de bouquetins portant kilts et bourses, jupes plissées en tartan, clin d’œil à l’Écosse fantasmée à l’origine du livret (adaptés de deux romans de Walter Scott). Ces magnifiques costumes, conçus par Cindy Lombardi contribuent à l’évocation d’un monde animalier, imaginaire où le merveilleux prend le pas sur le réalisme et permet un regard critique sur les personnages sans les caricaturer, révélant ainsi leurs failles.
Une mise en valeur des rapports sociaux se révèle, complétée par une réécriture des scènes dialoguées pour les adapter à un public d’aujourd’hui, pris à partie à plusieurs reprises. Les personnages prennent alors un relief différent : le soldat qui se présente comme un « vagabond de l’amour » à la recherche de la bien-aimée disparue est finalement pris au piège par cette dernière retrouvée sous les traits d’Anna (l’orpheline recueillie par le seigneur, capable de se métamorphoser en Dame Blanche) et finit même par regretter sa liberté perdue. Gaveston se demande si son rival ne serait pas un capitaliste ou un banquier. Le discours prend des tournures féministes (notamment lorsque Jenny la fermière se moque de son trouillard de mari) ou sociales (cette dernière revendiquant haut et fort ne pas vouloir donner son argent pour acquérir le château par fidélité au seigneur). Les décors construisent l’espace dans cette progression vers l’enfermement : nature, vertes prairies dans les montagnes au premier acte, toile d’araignée géante au second, lignes géométriques en métal doré stylisant les murs du château, tombant (du cintre) sur ses occupants au moment où le juge valide la vente, espace ouvert devenant clos telle une prison dorée. Le conte féerique bascule dans un conte inquiétant aux saveurs amères.
Pour parfaire la recette, Louise Vignaud s’entoure de jeunes chanteurs investis, très dirigés dans leur jeu d’acteur. Cette production francophone porte à la langue un soin particulier qui rend la compréhension pleine et entière. Anna (la Dame blanche) qui en a « ras la patate d’être bourlinguée de pays en pays » est une jeune femme fraîche et pétillante interprétée par la soprano Caroline Jestaedt. Sa voix souple vocalise avec facilité. Le timbre est clair, le legato soigné, les aigus contrôlés. Cependant, elle ne module pas assez les couleurs vocales pour apporter une plus grande diversité d’interprétation, ce qui lui permettrait de différencier les deux personnages vocalement et ainsi donner plus de mystère à la Dame blanche (la mise en scène n’intensifie donc pas assez ses apparitions).
Sahy Ratia campe un Georges convaincu, d’une grande aisance, tour à tour enjoué pour « Ah quel plaisir d’être soldat » ou inquiet « Viens, gentille dame ». Sa voix légère est bien adaptée à ce type de répertoire. Le timbre est clair, homogène, le phrasé précis. Il allège facilement les aigus en voix mixte (caractéristique de la tradition des haute-contre à la française) tout en s’aidant fréquemment des fosses nasales.
Dickson, le fermier gentiment moqué par sa femme, est interprété par Fabien Hyon. Sa voix de ténor nuancée et timbrée sur l’ensemble de la tessiture se distingue de l’autre ténor par un vibrato plus perceptible et une émission moins nasale. Jenny, sa femme est interprétée par Sandrine Buendia. Cette fermière virevoltante au fort caractère, ne craint pas la Dame blanche, mais sa voix agile de soprano au timbre chaud manque un peu d’homogénéité dans les aigus parfois trop projetés, notamment dans les duos avec Fabien Hyon. Dans l’air très attendu (emprunté par Hergé dans Le Crabe aux pinces d’or) « La Dame blanche vous regarde », elle fait preuve d’expressivité, de conviction et tient en haleine son auditoire.
Le rôle de Gaveston, l’ancien intendant du château devenu « nouveau riche » est tenu par Yannis François, qui installe une élégance scénique, acquise par sa formation de danseur. Sa voix présente un timbre de basse avec des graves qui se dessinent profonds, mais avec cependant des difficultés à passer l’orchestre ou à se faire bien entendre dans les ensembles. Il pousse par moment dans les aigus et les forte, perdant alors son accroche et la brillance du timbre, même s’il apporte une couleur harmonique intéressante avec la soprano et la mezzo.
Marguerite interprétée par la mezzo-soprano Majdouline Zerari campe à la fois une gardienne résignée à quitter le château et une figure maternelle auprès d’Anna. Son timbre chaud, sa voix homogène et nuancée se déploie avec conviction dans son air au début du second acte « Fuseaux légers, tournez ». Elle trouve également sa place dans les ensembles. Enfin, Ronan Airault incarne le juge de paix menant la vente aux enchères. D’emblée, il affirme son autorité par une voix de baryton-basse sonore, chaude et bien timbrée.
Grâce à la fusion scénique et vocale des huit chanteurs de l’ensemble Le Cortège d’Orphée, une complémentarité s’installe dans les scènes d’ensemble. L’Orchestre Les Siècles constitué de 19 musiciens, sous la direction précise et énergique du jeune chef Nicolas Simon, grimé et costumé pour la circonstance en oiseau au plumage d’un rouge chatoyant, sorte de Papageno guidant ses musiciens pour faire sortir les plus beaux chants de leurs instruments. Sans toucher à la musique de Boieldieu, Robin Melchior a réorganisé l’instrumentation tout en respectant la couleur des instruments d’époque utilisés. L’authenticité des timbres, notamment le cor naturel, plonge dans un univers sonore idoine, contribuant aussi à la richesse de ce spectacle.
Wagner disait retrouver dans cet opéra « la vivacité et la grâce naturelle de l’esprit français ». Deux caractère à revivre dans les merveilles de cette représentation.