Concert à huis clos à la Philharmonie : la musique revit, sous certaines conditions
Dans un jeu de chaises musicales, la cheffe australienne Simone Young remplace Klaus Mäkelä, forcé par les restrictions sanitaires de reporter sa venue. Elle-même n'avait pas pu venir diriger Fidelio au mois de mai dernier, pour les mêmes raisons. Au programme, les Quatre derniers Lieder de Richard Strauss, interprétés par la soprano dramatique Elza van den Heever, et la Quatrième symphonie de Johannes Brahms.
La salle de concert parisienne est vide, presque fantomatique, et semble résonner comme une cathédrale, temple des muses et refuge des adorateurs de la musique vivante. Dans cette acoustique étrange, l'Orchestre de Paris paraît encore plus volumineux, encore plus large, et la cheffe lui laisse beaucoup d'ampleur, notamment dans les passages où la chanteuse se tait. Mais elle n'a pas à craindre de la couvrir, car la voix de la soprano se fait véritablement instrument, et partie intégrante de l'orchestre, phénomène rare et plus qu'appréciable. Il semble que c'est justement ce que recherchait le compositeur en écrivant cette œuvre : lier intimement la voix à l'orchestre, sans qu'elle soit uniquement soliste. Sans jamais chercher à lutter pour se faire entendre, la Sud-africaine s'impose par son utilisation très efficace et intelligente des harmoniques et des consonnes. Pas une miette ne se perd, ni dans le texte, ni dans le son, malgré le fait qu'elle soit tournée vers la cheffe, et non vers le “public”. Sa voix est puissante sans être jamais forcée, le timbre est percutant sans être agressif, la longueur de souffle, impressionnante, lui permet d'aborder sans le moindre effort apparent les phrases les plus sinueuses de ces Lieder. La soprano, pleinement à l’aise dans cet écrin cousu main pour sublimer la voix féminine, paraît visiblement émue d'interpréter cette partition, avec orchestre, en cette période plus que compliquée pour les artistes, et cette émotion est communicative.
De Strauss à Brahms (compositeur de la période romantique mais considéré comme plus classique dans les formes), c'est néanmoins une lecture pleine de contrastes et de subtilités qui se fait entendre. Young dirige avec beaucoup d'enthousiasme et d'envie, sachant passer de la tendresse à l'énergie, de la puissance à la légèreté, tout en laissant l'orchestre déployer une ampleur de son qui sied grandement à cette symphonie. Dans cette acoustique magnifiée, chaque pupitre trouve sa place, s'imbrique dans cette sonorité charnelle, même s’il faut reconnaître que les basses sont particulièrement présentes, tandis que le pupitre des cors pourrait l'être un peu plus.
Malgré l'absence de public, l'énergie déployée par les musiciens est immense, et donne toute sa force à cette œuvre magistrale. Des applaudissements fournis seraient largement mérités pour cette mémorable prestation.