Une mise en scène d’Orfeo pleine de grâce à l’Opéra de Lille
L’Orfeo de Monteverdi dévoilait ce vendredi 20 novembre à l’Opéra de Lille la subtilité de sa partition, parfaitement valorisée par la mise en scène et les chorégraphies de Sasha Waltz, ainsi que par l’ensemble des artistes aux multiples talents qui se produisaient sous sa direction. En effet, dans cette production, les danseurs joignent leurs chants à celui du chœur Vocalconsort Berlin, et les chanteurs participent aux chorégraphies. Même les musiciens du Freiburger BarockConsort, positionnés sur la scène, finissent la représentation par quelques pas de danse.
La représentation débute par la très fameuse toccata, jouée comme souvent depuis le balcon par les trompettes. Le décor d’Alexander Schwarz descend lentement, cachant ce faisant une partie des musiciens pour la seule entorse de la soirée à la mise en valeur de la musique et de l’acoustique. L’euphorie régnant durant le mariage d’Orphée et d'Eurydice est parfaitement rendue : les costumes de Beate Borrmann sont printaniers et les éclairages de Martin Hauk sont lumineux. Les convives (solistes compris) dansent, des fruits autour du cou, un sourire radieux aux lèvres, et jonglent avec des mouchoirs en papier. Puis, tandis qu’Orphée laisse éclater sa joie à l’avant-scène, comme en transe, le public voit Eurydice se faire enlever par deux sombres créatures dans le fond. Lorsque la Messagère annonce la mort de cette dernière, tout se fige sur scène. Et le paradis dans lequel tous croquaient dans des pommes se transforme dans un fondu enchaîné en porte de l’enfer. Tandis qu’Orphée dialogue avec l’Espérance, Charon, le passeur du Styx (le fleuve des enfers), navigue au milieu des âmes volant autour de lui. Après l’entracte, qui intervient au beau milieu de l’acte II, la cour de Pluton, dieu des enfers, et Proserpine, danse sans musique mais au rythme d’un nombre impressionnant de quintes de toux venant du public, dans un sublime contre-jour. C’est depuis le premier balcon qu’Apollon, entouré des trompettes, appelle ensuite Orphée, son fils, à rejoindre le ciel, d’où il pourra contempler les traits de sa bien-aimée. La joie est de nouveau possible sur terre et les danses reprennent de plus belle.
Georg Nigl interprète l'Orfeo (© Sebastian Bolesch)
La représentation est littéralement portée par Georg Nigl, l’interprète du rôle-titre. Ses premières notes, dans l’aigu, enchantent instantanément par la maîtrise qu’a le chanteur de son instrument. Se démenant durant la célébration du mariage de son personnage, sourire aux lèvres et danse rythmée, il reste hagard après l’annonce de la mort d’Eurydice. La partition sollicite alors davantage ses graves, sans que la qualité de l’interprétation ne s’en ressente. C’est ainsi qu’il déploie toute la complexité du rôle avec une grande subtilité et des vibratos saisissants. Lorsqu’à la fin de l’ouvrage, il rejette les femmes, ne pouvant plus contempler la sienne, il se précipite vers le public, lui lançant un regard glaçant.
Face à lui, Anna Lucia Richter enchante également. Son interprétation du rôle de la Musique (qui introduit l’opéra) est marquée par la présence de la jeune chanteuse qui aimante les regards, dans sa sublime robe rouge. Sa doublure danse, de bleu vêtue, revêt un large sourire, comme elle-même charmée par le chant. Vocalement, la soprano dispose d’un timbre soyeux, bien mis en valeur par un phrasé lumineux. C’est ensuite avec beaucoup de fraîcheur qu’Anna Lucia Richter interprète Eurydice. Sa chorégraphie finale, illustrant son talent de danseuse, est également très réussie.
Anna Lucia Richter interprète la Musique et Eurydice dans l'Orfeo (© Sebastian Bolesch)
Les rôles de la Messagère et de l’Espérance sont interprétés par Charlotte Hellekant, radieuse dans les scènes de liesse et poignante tout autant que puissante dans son rôle dramatique. Si le phrasé manque parfois de liant, le timbre s’affine dans les graves de la tessiture. Le troisième berger, dont le rôle est peu valorisé malgré une présence scénique importante, bénéficie de l’interprétation dynamique de Fabio Trümpy, qui enchaîne avec succès pas de danse et vocalises. Le Charon de Douglas Williams dispose d’un timbre séduisant dans les basses, qui s’étiole toutefois lorsque la partition l’emmène dans un registre plus aigu. Luciana Mancini campe à merveille une Proserpine séductrice, à l’interprétation toute en nuances. Son partenaire, Konstantin Wolff, parvient à chanter tout en portant sa partenaire. Son timbre apporte une certaine luminosité au personnage, si sombre par ailleurs. Enfin, Julian Millan en Apollon livre un beau duo final, le contreténor Kaspar Kröner (deuxième berger) dispose d’un grain de voix intéressant, malheureusement trop peu puissant pour ressortir dans les ensembles, et Cécile Kempenaers livre une solide interprétation de la Nymphe.
Georg Nigl interprète l'Orfeo (© Sebastian Bolesch)
Le Freiburger BarockConsort, dirigé depuis le premier rang durant la première partie par Torsten Johann, est disposé de part et d’autre de la scène. Les musiciens, pieds nus, se meuvent tout au long de la soirée, passant de cour à jardin, de face au lointain, en passant par les loges, le balcon, les coulisses ou le centre de la scène (où la harpe est installée pour le prologue), selon l’emplacement qui valorise au mieux la partition. Car si la mise en scène de cet Orfeo favorise l’esthétique, l’expression théâtrale, la danse et le chant, elle prend toujours soin du principal : la musique.