Vivaldi classic-cool par Jupiter à La Seine Musicale
L'ensemble est jeune, composé de jeunes artistes qui se revendiquent comme tels. Sauf qu'en art, le temps ne fait (presque) rien à l'affaire : quand on est bons, on est bons. Ce sont donc les qualités musicales qui font le succès de l'ensemble et de ce nouveau concert très applaudi, tandis que leur "jeunisme" revendiqué ne fait pas même l'unanimité au sein de l'ensemble. Trois dimensions sont concernées par cet oxymore : le discours des musiciens (Thomas Dunford annonce ainsi le bis "une petite dernière avant la bière", ce à quoi Lea Desandre répond que "tout le monde ne boit pas dans cet ensemble"), leur apparence (car si l'habit ne fait pas le moine et encore moins le son, l'apparence visuelle est assurément hétéroclite dans cet ensemble où certaines ne sont qu'élégance classique tandis que d'autres marient veste et baskets ou à l'inverse chaussures de gala et chemises débraillées), et puis bien entendu et surtout le son. Outre le fait que l'ensemble revendique de jouer le baroque comme du jazz, il rappelle la modernité de ce répertoire à la fois construit et passionné, encore et toujours passionnant et universel.
Premier concert depuis le confinement @LaSeineMusicale que cela fait du bien! Un grand merci @ensemblejupiter et @LeaDesandre pour ce moment de fraîcheur musicale.oui on peut aller au spectacle masqué ! pic.twitter.com/l73QxSnwom
— Eric Beaurepaire (@ericbeaurepaire) 11 octobre 2020
Le jeu de Jupiter est distingué et en même temps animé. Le discours musical de l'ensemble, comme sa parole, est différent entre les instruments et le chant : les concerti s'animent, les archers et les doigts claquent les cordes, Jean Rondeau pirouette du clavecin à l'orgue entre deux morceaux et réunit les improvisations baroque et jazz, alors que la voix de Lea Desandre concentre les ardeurs. Son volume, sa projection, ses élans restent mesurés et contrôlés (relativement à l'ensemble instrumental mais aussi à cette musique). Un esprit modern-jazz, baroque-cool sans roucoulades, renforcé par le fait qu'elle homogénéise les interprétations alors justement que les morceaux enchaînent deux par deux un air exalté et un air triste. La Judith triomphante encadre par le destin conquis et subi le sommeil divin du "Cum dederit", le sang glacé dans les veines ("Gelido in ogni vena") plonge dans les flammes de la jalousie "infernale" ("Gelosia, tu già rendi l'alma mia") le tout porté par les vents contraires ("Agitata da due venti"). Tout le programme est ainsi résumé à l'image du premier morceau "Vedro con mio diletto" qui commence dans le plaisir et finit dans les soupirs éternels d'une peine extrême (que la chanteuse unit donc aussi dans un même sentiment). L'incarnation physique et vocale rayonne par la maîtrise et le contrôle. Même lorsque sa mâchoire se serre et lorsque le regard se fronce, la tension expressive n'est pas vocale, même lorsque la légèreté guide la ligne, les vocalises et ornements restent presque timbrés quoique peu agiles.
L'ensemble du programme Vivaldi forme ainsi un tout qui dialogue de la même manière avec le bis. Celui-ci est présenté dans sa résonance avec la situation actuelle quoiqu'il s'agisse du même bonus que pour les précédents concerts et le disque de ce programme : un morceau contemporain We are the ocean, each one a drop. Le baroque sonne alors country, ou réciproquement.
L'intensité expressive, l'élégante jeunesse, le classic-cool font visiblement mouche auprès du public qui applaudit chaque morceau et acclame les artistes. Il faudra tout le sérieux des ouvreuses pour imposer la sortie rang par rang, ce qu'elles obtiennent vaillamment. L'ensemble des artistes est alors parti, mais Thomas Dunford revient sur scène ranger des affaires, du public le félicite alors à la cantonade et lui demande un petit morceau supplémentaire : ce qui aurait en effet pu être une idée favorisant une sortie du public en musique (avec un morceau à bien choisir et expliquer pour que le public ne reste pas fasciné encore à sa place).