Académie de l’Opéra de Paris, star de ce début de saison
L’Académie de l’Opéra de Paris permet à de jeunes chanteurs de s’aguerrir aux côtés d’artistes confirmés. Même si, comme chaque année, le niveau d’excellence des artistes sélectionnés réjouit, il leur reste une marche à franchir pour atteindre le niveau requis par les scènes les plus exigeantes. Il leur faut apprendre à prêter attention aux moindres détails pour éviter tout décrochage, attaque imprécise ou défaut de justesse. Surtout, ils doivent encore apprendre à ne pas « faire le spectacle » mais « être le spectacle » : l’exercice du récital est en cela intransigeant car ils doivent capter l’attention du spectateur non uniquement par leur voix (qui doit néanmoins se déployer suffisamment pour emplir seule l’espace) mais aussi par leur présence, leur charisme, leurs intentions scéniques.
Le programme du jour enchaîne les grands passages d’opéras tout en permettant à chaque chanteur de s’exprimer dans des répertoires différents. La première à se mettre en avant est la soprano Kseniia Proshina, dont la voix légère et agile est bien assise et voltige en de purs aigus. Elle distille dans son chant de délicates nuances sur un phrasé langoureux chez Bellini, caressant chez Strauss ou piquant chez Donizetti ou Puccini (en Musetta dans La Bohème). Son vibrato est rond et calme. Elle devra encore gagner en assurance pour infuser une plus grande fermeté dans ses lignes vocales. Andrea Cueva Molnar dispose d’une voix plus lyrique mais restant (encore) légère malgré tout, d’autant que le timbre est velouté. Le vibrato est appuyé, les aigus perlés sont larges et bien liés, mais le médium est moins ferme. Dramatiquement, elle semble s’épanouir aussi bien dans la tragédie que dans le répertoire plus léger, où elle se montre mutine et malicieuse. Déjà bien ancrée dans son parcours professionnel, Angélique Boudeville est une Liu à la voix large et lyrique, au vibrato vif sur des lignes amples. Ses aigus sont éclatants, les médiums vigoureux.
Kiup Lee dégage déjà une impression de grande facilité. Sa voix rayonnante, bien assise, s’élève en de vaillants aigus (mais ils sont moins stables dans la nuance piano). Le timbre clair, la musicalité et le legato, mais aussi la prononciation du français très correcte en font un Pâris de choix. Lorsque le répertoire s’alourdit, il souffre toutefois de légers décrochages. Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (dont les initiales, MABL, se prononceraient Ma Belle, si ce n’était par trop familier) dispose déjà d'un souffle bien enraciné, d’un mezzo très assuré, fougueux, d’aigus épais et d’un ample vibrato. Par son regard et ses expressions faciales, elle construit un théâtre expressif.
Tobias Westman, qui entre par mégarde en scène un numéro trop tôt, y remonte rapidement en Prince Sou-Chong. Son ténor barytonant manque certes de largeur, mais il déploie des aigus charpentés, un vibrato impétueux et une prononciation précise. Le chant est nuancé et appuyé sur un souffle maîtrisé. Son long et brillant aigu final lui vaut les acclamations du public. Le baryton Alexander Ivanov, nouvel arrivant, dispose d’une certaine aisance scénique et d’un timbre ténébreux mais brillant. Sa couverture vocale bonifie les couleurs de sa voix, mais nuit à la projection et donc au volume vocal, bien que la voix s’élargisse dans les graves. Alexander York se présente principalement dans un répertoire léger (Malatesta, Danilo) dans lequel, de fait, la clarté de son timbre dans le registre aigu est valorisée. Pourtant, l’appui y manque de vigueur et c’est en Marcello, rôle plus central, que la voix s’épanouit réellement, avec de gracieux graves et un lyrisme affirmé.
L’Académie a recruté cette année deux basses pour compléter son effectif. Aaron Pendleton fait très forte impression malgré ses maigres interventions. Sa voix large et profonde laisse résonner un timbre crépusculaire qui fera merveille un jour à Bastille : en attendant, il doit fournir une attention constante à ne pas déséquilibrer les ensembles par un volume trop consistant. Niall Anderson ne dispose que d’une courte intervention pour donner à entendre un timbre noble et boisé et une aisance scénique prometteuse.
Au piano, Olga Dubynska (qui donne également de la voix dans les chœurs) imprime souvent des tempi (trop) lents. Pourtant, elle parvient à créer des ambiances par un toucher lancinant ou sautillant selon les répertoires. Elle passe ensuite le relais à Christopher Vazan, qui allie vigueur et musicalité pour peindre les couleurs propres à chaque œuvre.
Indéniablement, ces jeunes artistes disposent déjà d’une technique sûre : leur principal besoin est maintenant de se confronter au public le plus souvent possible (certains ont d’ailleurs déjà des admirateurs fidèles). La création de la salle modulable, voulue par Lissner et confirmée par Neef dans nos colonnes, pourrait leur donner l’opportunité de se produire plus souvent dans des ouvrages complets.