Un Requiem allemand, humain très humain à Rennes
« Humaniser » des œuvres religieuses semble être un credo pour Gildas Pungier. Ainsi après la Petite Messe Solennelle de Rossini (donnée en décembre 2019) le chef de l’ensemble vocal Mélisme(s) s’attaque à une œuvre tout aussi emblématique : Un Requiem allemand de Johannes Brahms. Mais en quelques mois, le contexte a bien changé. Plus de mise en scène, plus de clin d’œil humoristique et de légèreté. Les protagonistes sont redevenus sérieux, tout de noir vêtus, figés derrière leur pupitre, éloignés les uns des autres pour respecter la distanciation imposée par la situation sanitaire actuelle. Mais il n’en demeure pas moins que l’émotion est tout aussi intense.
Dès la lente et sombre introduction et la première intervention du chœur sur le mot « Selig » (sérénité), l’atmosphère est donnée : pas d’emphase, retenue et émotion vont conduire l’auditeur à travers ce long voyage d’outre-tombe où peu à peu, l’espoir va surgir. Dans le final, chaque pupitre livre successivement son « Selig sind die Toten » (bienheureux sont les morts) avec une beauté solaire et irradiante. Entre temps, tout n’est qu’émotion et raffinement, d’une extrême précision et d’un engagement de chaque instant. Gildas Pungier habite chaque mot, chaque phrase musicale et construit les différents climats d’une œuvre d’une très grande variété musicale et spirituelle.
Ce n’est donc pas un hasard si l’Opéra de Rennes a choisi cette œuvre pour débuter sa saison. Comme le rappelle Matthieu Rietzler (le Directeur de l’Opéra), ce Requiem est le plus humain d’entre eux. Brahms disait d’ailleurs à son sujet : « Plutôt qu’Un Requiem allemand, j’aurais dû le titrer Requiem humain ». Il devient porteur d’avenir et d’espoir à un moment où le monde culturel, fortement touché par la crise du Covid-19, a besoin de cette lumière et d’horizon.
Gildas Pungier a choisi la version dite « londonienne » à deux pianos., qui n’est pas une réduction du Requiem mais plutôt sa réécriture, une réinterprétation créative que seul un virtuose du clavier comme Brahms pouvait réaliser. L’équilibre est remarquable entre les voix du chœur et l’écriture pianistique ici parfaitement maîtrisée par les deux pianistes Colette Diard et Coralie Karpus. L’absence de l’orchestre confère une intimité, une force et une ferveur particulières, établissant un dialogue direct et immédiat entre public et musiciens. Le chœur devient ainsi l’acteur principal de cette œuvre dont l’intervention des solistes n’est qu’exceptionnelle.
Gildas Pungier, en bon connaisseur de l’esthétique du compositeur, accentue la sincérité et la profondeur de l’œuvre en s’appuyant sur le texte. Il souligne toutes les intentions et les nuances de cette version chambriste : les brusques modulations, souvent majeur-mineur, les piano subito, les mots incisifs soulignés d’un forte. La direction précise, concentrée est attentive à l’équilibre du tout. Le chœur suit la moindre de ses inflexions. Le second mouvement rend pleinement la marche résignée (par le seul jeu des pianistes, en l’absence des timbales) et le legato demandé devient ici une évidence. Le contraste avec la fin de ce mouvement en écriture fuguée, beaucoup plus rapide, emporte dans une allégresse frémissante. Les lignes polyphoniques sont modelées, vers un moment suspendu.
De fait, il est dommage que la soprano Camille Poul ne se coule pas dans cet esprit apaisé pour teinter son intervention d’une nuance plus adaptée. Elle étonne par sa voix puissante dans Ihr habt nur Traurigkeit (vous êtes maintenant dans la tristesse), toutefois bien projetée, avec un soutien constant de la ligne mélodique et une compréhension perceptible. Mais elle force l’expression et ses aigus deviennent perçants, son timbre ampoulé ne tient alors plus compte des subtils équilibres avec le chœur. Ce Chœur Mélisme(s) auxquels se joignent quelques chanteurs issus de la classe de chant lyrique de Stéphanie d'Oustrac au Pont Supérieur (Pôle d’enseignement supérieur des régions Bretagne-Pays de Loire), atteint une plénitude chorale, qu’il s’agisse de justesse, d’engagement, de beauté des timbres ou d’homogénéité, témoignant d’un vrai sens de l’écoute collective, malgré sa disposition scénique singulière.
Le jeune baryton Timothée Varon dialogue avec le chœur (auquel il appartint jadis) avec humilité et ferveur, d'une voix ample, puissante, colorée dans le registre grave. La diction est travaillée et le chanteur se montre soucieux de sa prononciation allemande. Peut-être même trop car le phrasé est coupé par des consonnes trop projetées, notamment en fin de phrase. Il sait cependant imposer puissance et dramatisation dans le passage évoquant le jugement dernier et passer le relais avec une grande énergie au chœur.
L’émotion est palpable aussi bien sur scène que dans la salle et ce premier concert de saison est chaleureusement applaudi. En bis, le Chœur Mélisme(s) offre un Lied à cappella traduit par « Reste encore un peu avec nous ». En attendant de le revoir, les auditeurs peuvent l’écouter en formation réduite dans une série d’émissions diffusées en ligne intitulée « la petite cuisine musicale », notamment le deuxième numéro consacré à Brahms et son goût pour la musique tzigane.