Les voix de Jeanne d’Arc de Verdi résonnent de nouveau à Metz
L’Opéra de Metz a réussi à faire sa rentrée malgré les conditions sanitaires, avec sa production de Jeanne d’Arc de Verdi signée par son Directeur Paul-Émile Fourny et initialement prévue en fin de saison dernière. Le metteur en scène indique dans sa note d’intention voir dans cet opéra à la fin mystique une œuvre proche de l’oratorio, ce qui explique la sobriété de sa scénographie, uniquement habillée de vidéos qui présentent en outre l’avantage de camper dans une relative économie de moyens les décors des différents tableaux. Les lieux sont ainsi présentés avec de belles perspectives (dans la scène de la cathédrale notamment) et un vrai soin esthétique. De ces vidéos émergent les visions de Jeanne, les chœurs disposés en coulisses se chargeant de les sonoriser.
Une fois n’est pas coutume, les cordes sont ici aux premières loges du spectacle (certains se tournant vers la scène lorsqu’ils ne jouent pas), l’Orchestre dépassant de la fosse sur les premiers rangs du parterre dont les sièges ont été retirés, afin d’assurer la distanciation entre les musiciens dans cette version à effectifs réduits. Le chef Roberto Rizzi Brignoli dirige la phalange à mains nues, privilégiant ainsi l’expressivité de la gestique sans rogner sur la précision, notamment des contretemps qui sont un appui de choix pour les solistes (et même si l’ensemble manque parfois de liant). À l’image de l’ouverture (illustrée par une chorégraphie des grands épisodes de la vie de Jeanne, comme la musique présente elle-même les différents thèmes de l’opus), sa direction met en valeur les détails de l’orchestration, aussi bien dans les doux murmures des premières mesures que dans les grands élans orchestraux, ou dans les passages aux sombres sonorités et rythmes inquiétants.
Pour sa prise du rôle-titre et en ce soir de reprise après une longue inactivité, Patrizia Ciofi semble d’abord d’une extrême fragilité : les aigus de la partition lui paraissent inaccessibles sans les alléger jusqu’à la rupture, les médiums sont râpeux et la difficulté lisible sur son visage et dans son attitude corporelle. Pourtant, elle parvient progressivement à transformer cette faiblesse en force : la voix se raffermit en se chauffant, émergeant alors avec fougue des ensembles comme sa Jeanne se distingue dans les combats. Très engagée scéniquement, elle ne se départit pourtant pas de sa vulnérabilité qui offre à son personnage dépouillé sa finesse d’interprétation.
À l’opposé, Jean-François Borras campe un Roi Charles VII imposant vocalement mais plus monolithique théâtralement. Sa voix dispose d’une solide architecture de la cave au plafond, des graves fermes et appuyés jusqu’à des aigus sûrs, qu’ils soient éclatants ou subtils. Le timbre clair au grain doré frémit d’un vibrato au sinusoïde calme et plat. Les lignes sont longues et amples, mais la voix manque d’agilité dans les quelques passages vocalisants.
Pierre-Yves Pruvot campe un Giacomo sensible, d’abord implacable, puis à la touchante repentance. Sa voix sourde et gorgée d’air lui confère un timbre rauque au vibrato ample et rapide. Si le médium, bien que manquant globalement de volume, prend des forces au fur et à mesure de la soirée, l’aigu reste émis avec précaution. Son agréable legato lui permet toutefois de mener des lignes nobles et captivantes.
Giovanni Furlanetto campe Talbot d’une voix à laquelle la ferme couverture vocale et les résonateurs assurent une brillance éclairant un timbre d’ébène. Daegweon Choi (Delil), issu du Chœur maison, s’acquitte de son intervention avec solennité, d’un timbre sombre mais chatoyant. Le reste du Chœur, à la peine dans la cohésion rythmique de certaines parties, offre un exaltant accompagnement aux scènes d’ensembles.
Le public ravi de retrouver son opéra ouvert accueille très chaleureusement l’ensemble des protagonistes. Il ne faudrait pas que les fêtes démasquées et sans distanciation, organisées dans les rues alentour à la nuit tombée et qui tranchent là encore avec les strictes consignes imposées au secteur de l’opéra, ne fassent rougir le département aujourd’hui classé vert.