Récital à l’amour à la mort : Florian Boesch au Konzerthaus de Vienne
« Von der Liebe und
vom Tod » (De l'amour et de la mort) : ainsi est annoncé le programme
du récital. La méditation de la vie s'ouvre avec les Michelangelo-Lieder
(1897) d’Hugo Wolf, recueil de trois poèmes écrits par le peintre Michel-Ange
(Buonarroti) traduits en allemand par Walter Heinrich Robert-Tornow. La même
ambiance jalonne également la sélection des cinq Lieder de Schubert qui raconte
la vie dans l'optique de la mélancolie et de la mort inévitable. Ensuite, la
méditation se détend légèrement dans la sélection des six Lieder tirés de l'Italienisches
Liederbuch (Livre des mélodies italiennes) de Paul Heyse, qui recueillit et
adapta en allemand des poèmes italiens anonymes. Cependant, l'ambiance ne tarde
pas à s'assombrir de nouveau, comme pour préparer la conclusion de la soirée,
les six monologues du Jedermann (1944) du compositeur suisse Frank Martin (1890-1974), d'après la pièce d’Hugo von Hofmannsthal (1911) qui
présente l'angoisse du riche Jedermann (littéralement : « toute personne »)
suite à la visite de la Mort envoyée par Dieu.
Dans une salle de concert remplie seulement au tiers (par respect sanitaire scrupuleux), devant les spectateurs masqués, Florian Boesch expose tout de suite et sans hésiter son timbre de fer. Celui-ci se remarque par sa puissance et sa dignité, doté également d'une rugosité caractéristique qui rappelle celle de Falk Struckmann. Les nuances sont exposées avec justesse et sensibilité pour évoquer la vie du temps passé (vergang'nes Leben) : Boesch maintient une ferme maîtrise de la respiration et vogue avec aisance entre le registre bas, capable d'atteindre la douceur d'un murmure, et la densité robuste éclatante de son registre haut. C'est à l'extrémité supérieure du registre moyen que la rugosité du timbre et la puissance de la voix se révèlent dans tout leur éclat. L'accompagnement de Justus Zeyen au piano, encourageant et adaptable, tient également un grand rôle. Sensible aux dynamiques vocales et émotionnelles du chanteur, le pianiste donne toujours à ce dernier un espace suffisant pour s'exposer et ne l'estompe jamais même dans les crescendi les plus marquants.
La réussite de la soirée tient en effet en partie à l'union de la maîtrise vocale de Boesch et son interaction harmonieuse avec Zeyen. L'ampleur des transitions entre les registres se manifeste dans presque tous les Lieder, dont notamment dans les deux derniers de l'Italienisches Liederbuch. Les dérèglements émotionnels sont manifestés avec précision, grâce à la capacité dramatique de la voix pour garantir l'impact des escarpes sonores dans les transitions entre les registres. La douceur et l'équilibre du registre bas se remarquent notamment dans les Lieder méditatifs Abendstern (Étoile du soir) d'après le poème de Johann Mayrhofer, et Herbst (Automne), d'après le poème memento mori de Ludwig Rellstab.
La voix se montre légère et transparente, comme lorsqu'elle communique la joie amoureuse d’Im Frühling (Au printemps) et l'histoire maline dans « Geselle, woll'n wir uns in Kutten hüllen » (Cher camarade, voulons-nous nous envelopper de robe de moine), où la clarté de l'articulation est particulièrement mise en valeur. Or, ces deux caractéristiques se rencontrent dans « Benedeit die seil'ge Mutter » (Soit bénie, la sainte mère) où l'ambiance religieuse (le Lied débute dans un style de chorale) glisse abruptement vers un élan déréglé de désir charnel.
Enfin, les six dialogues de Jedermann comme conclusion de la soirée sont justement placés. Dès le début, Boesch saisit avec intelligence et intensité l'intention dramatique du texte. Tout au long du cycle, le chant manifeste de manière saillante l'angoisse et le caractère plaintif des Lieder par des articulations stratégiques des mots et des phrases qui frôlent parfois le style du récitatif sec. D'où le crescendo final d'Ach Gott, wie graust mir vor dem Tod (Ô Dieu, quelle détresse que de me trouver devant la mort) : un véritable cri de détresse avant la dernière prière O ewiger Gott! (Ô, Dieu éternel!), démonstration vocale à la fois dans la clarté de diction et la rondeur, même pendant les changements les plus abrupts entre les registres.