Nice Classic Live : hommage à Mady Mesplé à l’ombre de Matisse
Mady Mesplé a marqué de son empreinte de nombreux répertoires :
opérette, création contemporaine et airs lyriques de colorature
(retrouvez
notre hommage, celui
du monde de la culture et le
concert du Capitole). Ce sont pourtant deux voix de
mezzo-sopranos qui s'unissent, lèvent et élèvent donc la voix pour
lui rendre hommage. Une création contemporaine vocalisante (mais
donc écrite pour mezzos) permet ainsi aux deux chanteuses d'ouvrir
un hommage -transposé- aux fameuses vocalises de Mady Mesplé, tout en
rendant hommage au lieu de concert : le
programme commence par la vocalise n°1 intitulée « nu »
de l’Hommage
à Matisse pour
voix et clarinette d'Éric Montalbetti donnée l’an dernier au
musée Matisse de Nice, ville où le peintre s’est éteint. La
vocalise se dessine à partir d’un Gloria
a cappella. Les notes tenues des mezzos contrastent avec les rapides
montées et descentes chromatiques à la clarinette de Pierre
Génisson qui exprime les couleurs de la palette de Matisse. Cette
musique minimaliste évoque la simplicité du trait du peintre,
certaines dissonances rendent compte de la modernité de son œuvre.
Les mezzos sont parfois amenées à détimbrer leur voix pour donner
à entendre un son très ouvert et parfois suraigu qui n'est pas sans
rappeler les harmoniques des instruments à cordes.
À l'inverse, le Lied de Schumann In der Nacht (Dans la nuit), lentement et rondement entonné par Karine Deshayes avant que Delphine Haidan n’entremêle sa voix à la sienne, semble plutôt grave même pour la tessiture. Les nuances exécutées au piano par Jeff Cohen redoublent et anticipent les nuances vocales des cantatrices, qui s’expriment tout en délicatesse. Brahms suit au programme avec un triptyque de Lieder qui éloigne du répertoire de Mady Mesplé (c'est plutôt en Reine de la Nuit qu'elle marqua son empreinte dans la langue de Goethe) mais permet d'enrichir les contrastes (au calme de l’endormissement succède l’agitation du cœur, contrastant avec le silence de la mer puis l'expressivité du Lied “Phänomen”). Le programme met à l'épreuve les tessitures, rendant d'autant plus appréciable la plus grande homogénéité vocale entre les deux mezzos lorsqu'elles se mettent dans la peau des deux sœurs Die Schwestern, prononçant les paroles avec adresse et dynamisme.
Le lyrisme s’exacerbe alors avec Liszt : Delphine Haidan dévoile un timbre assez dramatique, avec profondeur et glissandi. Puis les chants gagnent en légèreté avec À Chloris de Reynaldo Hahn où Karine Deshayes déploie avec aisance sa grande puissance vocale et quelques petits ornements archaïsants, dont des mordants, avec originalité et brio. Les deux voix s'unissent à nouveau sur ce répertoire français. Karine Deshayes commence D’un cœur qui t’aime de Gounod (chanté sur le texte d’Athalie de Racine) en proposant des sons assez ouverts, puis Delphine Haidan fait une reprise vocalement plus palatale.
L'accompagnateur Jeff Cohen offre également des intermèdes instrumentaux délicats et lyriques, annonçant la suite du programme (une Barcarolle de Tchaikovski précédant le duo "Slyhali l’vy…" chanté dans l’opéra Eugène Onéguine par Tatiana et Olga : les deux mezzo-sopranos voient ainsi leur malléabilité vocale à nouveau mise à l'épreuve, par l'interprétation de ces rôles respectivement de soprano et contralto assurément trop grave). Le programme lyrique se poursuit avec le fameux duo des Contes d'Hoffmann, la barcarolle d’Offenbach « Belle nuit, ô nuit d’amour ». Delphine Haidan débute avec une voix soutenue, Karine Deshayes avec une voix plus aérienne, leurs styles sont différents mais la prononciation de la liaison dans « Zéphyrs embrasés » donne beaucoup de sensualité à leur interprétation.
La soirée avait d'abord commencé avec le Quatuor Modigliani en première partie, sur un programme Haydn, Mozart, Brahms n'approchant pas du répertoire de l'hommage à Mady Mesplé mais lançant la soirée avec beaucoup de passion, de caractère et d’homogénéité dans le jeu (le fil conducteur de la soirée semble ainsi être davantage celui de la peinture : les coups d'archets résonnent comme des coups de pinceaux, répondant aux hommages à Matisse). Toute la soirée est de surcroît un spectacle, animé par Jean-Michel Dhuez qui dépeint lui aussi le programme et présente chaque œuvre interprétée. L'occasion de rappeler avec émotion que Jeff Cohen, le pianiste accompagnateur du soir a déjà accompagné à de nombreuses reprises Mady Mesplé, lorsqu’elle présidait l’académie d’été. « Nous répétions très peu, elle me faisait confiance, cela me rendait anxieux mais nous nous écoutions mutuellement et le résultat était magnifique ».
Le spectacle se clôt par le duo cristallin et floral « Sous le dôme épais » de Lakmé (Delibes). Jeff Cohen au piano représente encore, à lui tout seul, l’orchestre. Sous les nombreux applaudissements du public, les artistes proposent un bis, Les chemins de l’amour (1940) de Poulenc, dont le rythme fait esquisser au public conquis, de légers mouvements de danse.