Sweet melancholy, Le Consort au Festival Été Musical de Dinan
C’est dans l’Abbaye de Léhon que l’Ensemble Le Consort de Justin Taylor propose un concert à trois (mais non en trio) autour d’un répertoire anglais intimiste, principalement composé d’œuvres d’Henry Purcell et intitulé « Ô solitude ».
Ce Consort est pourtant spécialiste de la sonate en trio à deux violons, mais ce n’est pourtant pas cette formation proposée ce soir. L’ensemble se plaît également à défendre le répertoire vocal en collaborant avec des solistes vocaux de leur génération, récemment avec la mezzo-soprano Eva Zaïcik et désormais avec le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian. Comme pour la plupart des musiciens, les contraintes sanitaires ont obligé l’ensemble à adapter son programme ainsi que le nombre de musiciens présents sur scène.
C’est après un cérémonial désormais devenu un rituel que les spectateurs, le visage cloîtré derrière un masque, prennent place de façon isolée dans les travées de l’abbatiale. Les vieilles pierres portent idéalement les sonorités envoûtantes d’Ô Solitude qui débute ce concert donnant ainsi tout son sens à notre propre isolement imposé. Solitude de la viole de gambe égrenant avec délicatesse les notes de basse, rejointe par le chanteur puis par le claveciniste. La voix est ronde, ouverte, vibrante, le timbre charnu, le phrasé est naturel, simple, la diction impeccable. En quelques instants, les musiciens installent une mélancolie poignante à faire pleurer le cœur le plus dur soit-il.
S’enchaîne, Here, the Deities Approve, un air extrait de l’ode Welcome to all the pleasure pour honorer Sainte-Cécile et la musique. La voix ample évolue sur la mouvance du continuo constitué d’un ground (basse obstinée) syncopé au clavecin et à la viole de gambe imitant par son jeu en pizzicato le son du luth. Un autre paysage s’installe mais toujours teinté de mélancolie.
Didactiques, les musiciens ont chacun un mot explicatif au cours du concert afin de justifier leurs choix mais aussi pour exprimer leur plaisir de rejouer et de retrouver le public. Le chanteur, ému, explique ce programme construit autour de la musique anglaise et plus particulièrement d’Henry Purcell, lui-même chanteur. Tout a été pensé autour de « songs » mélancoliques sur les thèmes de la mort et de la musique mais également des pièces moins connues de John Blow, professeur de Purcell, de 10 ans son aîné, qui avait une admiration sans borne pour son élève, mort prématurément et à qui il rendra un hommage dans un Tombeau intitulé « Ode on the death of Mr Henry Purcell ».
La mélancolie est une constante dans la musique anglaise, la douleur est toujours très bien exprimée mais on y ajoute toujours une pointe de légèreté et d’humour, précise Justin Taylor un peu plus tard (pour certainement justifier les « Drop » bondissant au "r" exagérément roulé imitant peut-être le sifflement des serpents qui tombent de la tête d’Alecto dans Music for a while). Quant à Louise Pierrard, elle présente un compositeur singulier mais bien connu des gambistes, Tobias Hume, et interprète Captaine Hume's Pavan. Justin Taylor fait preuve d’un jeu souple et ciselé. Les changements de registres sont toujours judicieux, chaque note trouvant sa place dans un discours maîtrisé. Libéré de la partition, le claveciniste échange des regards complices avec ces deux acolytes.
Fort concentrée et attentive, les intentions et places d’archet de la gambiste se montrent précis. Le son est rond, homogène. Dans cette formation sans violons, la viole oscille entre son rôle de soutien au continuo du clavecin et le rôle qu’on lui attribuait au XVIIème siècle, celui d’être l’instrument le plus proche de la voix humaine. Louise Pierrard fait chanter son instrument, formant un duo avec le chanteur. Elle dialogue avec lui, ils se fondent et se complètent (I attempt from love sickness). Le vibrato est tout aussi maîtrisé que les respirations.
Chaque protagoniste est à la recherche d’une texture sonore personnelle en explorant le répertoire riche et passionnant de la musique de Purcell tout en l’incluant dans un souci d’équilibre et d’osmose entre eux.
Paul-Antoine Bénos-Djian est un jeune artiste qui avance dans sa carrière en maintenant une constance dans la qualité de son chant. Son art réside en un savant équilibre entre naturelle aisance et maîtrise technique à laquelle il ajoute une émotion pure. Il est toujours inspiré, que ce soit dans son rôle de Rinaldo (Haendel) ou en Saint-Jean Baptiste (San Giovanni Battista de Stradella). Sa capacité à donner vie au répertoire passe par l’émotion vécue, par l’expression dont il se fait le passeur. Pour cela, sa voix est lyrique avec du vibrato, de la matière, des modulations. Il utilise les aigus de la voix de ténor pour les graves de sa tessiture de contre-ténor, effectuant un passage en voix mixte tout en souplesse, magnifiquement illustré dans l’Ode on the death of Mr Henry Purcell. Les graves sont ainsi lissés sans cassure grâce à sa voix mixte charpentée. La couleur de sa voix d’alto, profonde et chaude est peu courante chez les contre-ténors. Il n’y a aucun geste superflu, le phrasé est naturel, sans distorsion, la vocalisation fuit toute démonstration factice (Hallelujah final dans An evening hymn). Il peut projeter sa voix avec facilité pour donner plus d’intensité mais il reste toujours à l’écoute de ses partenaires. Dans ce programme autour de Purcell, il fait preuve d’une intelligence dramatique du texte qui occasionne une belle compréhension de la prosodie de la langue anglaise.
Ce concert, qui a été préparé dans la solitude d’un confinement sanitaire ne pouvait que s’achever par une célébration collective de la musique et du plaisir de se retrouver pour « frapper la viole, toucher le luth, éveiller la harpe, inspirer la flûte, chanter » (Strike the viol).
Le public, sorti de sa rêverie, applaudit chaleureusement le trio qui offre en bis un air populaire britannique The Three Ravens. Ce chant narre l’échange entre trois corbeaux au sujet de leur dîner : choix judicieux avant d’aller se restaurer et de redonner une seconde fois ce concert en soirée afin d’accueillir le maximum de public, suite à la forte réduction de la jauge imposée dans les lieux de concert.