Un été déconfiné avec Reynaldo Hahn au Festival lyrique de Belle-Île-en-Mer
La version abrégée de cette édition 2020 du Festival lyrique-en-mer de Belle-Île comprend une dizaine de concerts en dix jours, sans les opéras qui traditionnellement constituent le noyau du programme, ceux-ci étant reportés à l'année 2021. Le coup d'envoi musical est précédé par une note de bienvenue de la Présidente du Festival, Marie-Françoise Morvan, avec les instructions pour le respect des mesures sanitaires, soigneusement préparées et strictement respectées. Dans les conditions désormais devenues normatives (jauge réduite de moitié, désinfection des mains et port obligatoire des masques), les artistes plongés dans l'obscurité de la scène de la salle Arletty du Palais plongent à leur tour le public dans l'univers belle-îlois de la Belle Époque. À l'aide du comédien récitant, Michael Martin-Badier, est retracée la visite à l'île de Reynaldo Hahn en compagnie de la célèbre Sarah Bernhardt, qui fréquentait assidûment sa résidence estivale (les fortins militaires de la pointe des Poulains), avec ses amis écrivains, poètes, peintres ou comédiens.
Ainsi, le spectacle alterne entre le texte récité, issu de son journal et réécrit par Fabienne Marsaudon, et les mélodies de Hahn qui forment un ensemble cohérent et fictivement chronologique, afin de s'immerger au mieux dans cet été musico-poétique du début de siècle dernier vécu par le compositeur franco-vénézuelien. La chanteuse américaine et habituée du Festival, Jasmin Black Grollemund, assure la partie lyrique de cette histoire narrée et chantée. Son instrument polyvalent arbore une rangée vocale considérable, appuyé sur des graves étoffés et charnus : le registre qu'elle peut exploiter plus amplement dans ce répertoire de la mélodie. Néanmoins, son approche s'avère trop belcantiste par moments, poussant la vibration et l'intensité des cordes au-delà de la mesure. Ce déséquilibre stylistique se manifeste de manière plus éclatante dans les chansons douces et lyriques (L'énamourée, À Chloris), aggravé par une gamme dynamique peu variée et un contrôle de souffle chancelant.
Son français est joliment coloré d'accent américain, parfois au détriment de la clarté, mais toutefois persistant et stable, qualité associée également aux passages mélodiques et rythmiques. Enfin, son énergie débordante retrouve son épanouissement dans les chants aux rythmes animés et dansants, tels que la Habanera ou bien la valse qui clôture la soirée.
Philip Walsh, Directeur artistique du Festival et ce soir pianiste accompagnateur, propose une interprétation musicalement riche et investie, allant au pas de la soprano soliste. Il parvient à faire ressortir les finesses dynamiques de la partition, l'usage élégant de la pédale de sourdine enrichit le paysage sonore et amortit la robustesse de l'acoustique de la salle Arletty. Cependant, les exploits de force de la chanteuse relèguent souvent son jeu au second plan, à défaut du potentiel sonore et expressif de l'écriture de Hahn. Le concert s'achève en fortes acclamations du public qui pourtant reste privé d'un bis, mais heureux d'être enrichi par la vie musicale même à l'ère du Covid.