Le tango fait monter la température au Festival d’été de l’Opéra de Vichy
Invitant
à plonger dans une ambiance particulièrement dépaysante (et
hispanisante), ce concert, conçu comme un véritable spectacle (de
courts intermèdes littéraires permettent de lier morceaux et
chansons), donne à entendre quelques-uns des tubes les plus fameux
du répertoire latino. C’est le cas de la célébrissime «
Cumparsita
»
initiale, tube du genre signé Gerardo
Matos Rodriguez,
de l’envoûtant «
Dos
gardenias »,
chant d’origine cubaine popularisé par le Buena Vista Social Club,
ou encore du poème musical «
Veinte
Años
»,
composé
par la chanteuse et guitariste cubaine Maria Teresa Vera en
1935 (chanson aussi reprise bien plus tard par le Buena Vista Social
Club). Egalement au programme de ce concert, le célèbre «
Besame
Mucho »,
autre standard de la musique espagnole qui, bien avant d’être
popularisé par Dalida (et repris par nombre de chanteurs d’opéra),
avait été composé dans les années 30 par la Mexicaine Consuelo
Velazquez d’après une aria
d’Enrique Granados issue de l’opéra Goyescas.
Ce concert met aussi à l’honneur des chansons certes liées au tango, mais à l’esprit bien plus léger (et chantées en français). C’est le cas du « Jésus Tango », chanté par Ginette Garcin pour le film de Jean Yanne Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, ou encore du drolatique «Tango Corse» de Fernandel (“le tango corse, c’est une sieste organisée”). L’on (re)découvre aussi des refrains signés Carlos Gardel ou Elyane Celis (chanteuse de cabaret du milieu du siècle dernier), ou le désopilant « Choucrouten Tango » d’Annie Cordy. Sont aussi programmés le « Joyeux Tango » de Boris Vian, au refrain connu des bouchers de la Villette et d’ailleurs (“Faut que ça saigne !”), ou encore une chanson d’Armand Mestral, « Jalousie », issue de l’opérette Chanson Gitane de Maurice Yvain (également compositeur de Yes, opérette vue à l’Opéra de Vichy en début d’année).
Un duo complice et complémentaire
Que de réjouissances en somme, dans lesquelles les deux solistes du soir se mettent en évidence. Dans sa robe noire pailletée façon danseuse de flamenco, Marie-Ange Todorovitch est flamboyante dans ce registre varié. La voix est chaude et riche de teintes diverses, ici l’imploration et la déclamation (« Veinte Anos »), là la passion et la séduction (« Dos gardenias »). Que de sensualité et dans l’exclamation, également, notamment dans l’air « Oblivion» (J’oublie) signé Astor Piazzolla, interprété avec toute la mélancolie et l’élan nécessaires (l’instrument vocal se plaçant à la limite du chanté et du parlé, sans jamais perdre en couleurs ni en expressivité). Captivante et magnétique avec sa voix ne cessant jamais d’être lyrique, en outre appliquée dans sa diction de l’espagnol, la mezzo séduit sans mal l’audience, au même titre que son partenaire de scène.
Familier des lieux (il réside à Vichy), Jean-François Vinciguerra se fend ainsi d’une performance non moins remarquée, moins dans le rôle de l’amoureux séducteur que dans celui du joyeux luron. Car là où sa complice de scène en appelle aux belles belles choses de l’amour, et aux sentiments les plus nobles, le baryton-basse donne lui dans un registre plus léger, moquant tant le « Tango Corse », donc, que les maris jaloux ou les férus de tauromachie (« Les Toros », de Jacques Brel). Et c’est peu dire que la conviction est présente dans chacune de ces chansons qui forment comme autant de tranches de rire, tant l’artiste se donne sans compter à la fois dans la gestuelle (il va jusqu’à tomber la veste et se coiffer d’un chapeau tyrolien) que dans l’expression vocale, où l’économie de moyens n’est jamais de rigueur. La voix est profonde et puissamment projetée, et aurait de quoi faire frémir si elle n’était pas posée, en l’occurrence, sur des paroles aussi désopilantes. À tel point investi dans l’incarnation de ses rôles, Jean-François Vinciguerra, celui qui est à la fois chanteur et metteur en scène (comme l’an dernier pour un Petit Faust déjanté à l’Odéon de Marseille) va jusqu’à faire éclater de rire sa propre partenaire, qui en perd carrément son micro.
À la fin du bal (après un incournable « Quizas, Quizas, Quizas » en bis), les applaudissements nourris ne sont pas uniquement destinés aux deux chanteurs. Ils sont aussi dirigés à l’endroit de l’accordéoniste Michel Glasko qui, sur scène, est un accompagnateur donnant à la fois le la et le tempo, et qui n’est pas habile que de ses doigts. C’est aussi un compositeur qui fait ici découvrir d’épatants medleys convoquant à la fois tant Edith Piaf et Alibert (avec son inévitable « Plus beau tango du monde ») que Mozart, Verdi et Grieg. Un savoureux mélange, apprécié à juste titre par un public conquis d’un bout à l’autre d’un spectacle caliente mais pleinement rafraîchissant.