Renée Fleming, le retour de la Maréchale en direct grâce aux récitals du Met
Renée Fleming a fait des adieux à l'opéra en mai 2017 lorsqu'elle a chanté pour la dernière fois la Maréchale du Chevalier à la Rose de Strauss. "Des" adieux, tant ce rôle aura marqué sa carrière et réciproquement, mais pas "ses" adieux tant la chanteuse reste présente, y compris sur les scènes mais différemment : récitals, disques, comédies musicales, théâtre parlé et même mise en scène. D'autant que la chanteuse vient tout juste de faire une grande annonce au New York Times : elle reviendra sur la scène du Met en 2022 pour un nouvel opus basé sur "Les Heures" (The Hours, roman de Michael Cunningham) dans le rôle de Clarissa, avec Kelli O'Hara en Laura et Joyce DiDonato en Virginia Woolf !
Renée Fleming demeure ainsi une grande voix de l'opéra, une star, une diva (voire la Diva américaine), ce qui explique pourquoi le Metropolitan Opera House de New York l'a sollicitée pour lancer sa nouvelle série de récitals en pay-per-view juste après Jonas Kaufmann (en l'abbaye rococo de Polling dans sa Bavière natale : notre compte-rendu), juste avant Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak au Château de la Chèvre d'Or à Èze dans le Sud de la France (rendez-vous pour cela le 16 août prochain) et bien d'autres grands noms (programme complet en bas de cet article).
Rajoutant au plaisir de retrouver cette grande artiste dans un nouveau cadre, dans un nouveau lieu à la fois plus intime et plus nostalgique, Renée Fleming se produit sans autre public que les internautes devant leurs écrans, les quatre caméras (dont deux sont robotisées) présentes dans l'intime et historique salon musical Dumbarton Oaks à Washington D.C. et son accompagnateur Robert Ainsley au piano. Cet artiste du clavier démontre une aussi large palette en tant qu'accompagnateur que celle choisie par Renée Fleming dans l'immensité de son chant et de son répertoire, c'est dire. Robert Ainsley offre un soutien et souci constant d'accompagner la chanteuse, de ponctuer d'un glas, comme de suivre ses lignes ténues, comme d'asseoir ses épaisseurs vocales plus lyriques-appuyées (parfois le tout dans un seul et même air). La formation de violoniste de ce pianiste se révèle par son souci de la ligne mélodique, sa formation de chambriste se met au service de son écoute et entente avec la chanteuse, sa pratique d'organiste renforce encore la richesse de ses timbres (et il emprunte aussi aux ornements d'un claveciniste) et il est même chef d'orchestre dans son intention et attention aux directions et nuances.
Ce concert est un nouveau symbole de la musique retrouvée et résonnant encore quelle que soit la situation tragique, une fois encore tout le programme -fait de joie et de nostalgie- intensifie ce sentiment, et le lieu choisi aussi : Dumbarton Oaks est un site historique bâti en 1801, désormais musée et bibliothèque de recherche pour Harvard, il hébergea en 1944 une conférence diplomatique qui mena à la fondation des Nations Unies (ajoutez à cela que ce salon accueillit des créations de musiques de chambres signées Stravinsky et Copland).
Ce récital s'ouvre avec une nouvelle pièce de John Corigliano créée par Renée Fleming durant le confinement et on-ne-pourrait-mieux choisie : "And the people stayed home", un a cappella en forme de nouvel hymne au confinement empli de culture et d'optimisme ("et les gents se guérirent, et la terre commença à guérir").
La Maréchale Renée Fleming que revoilà est au cœur de ce récital, avec l'air “Da geht er hin” qu'elle interprète comme ce personnage de Princesse en son boudoir, confirmant à la fois ses qualités de chanteuse lyrique et d'actrice hollywoodienne avec ce rôle si familier et toujours de composition. La Maréchale se regardant dans une glace étudie les lignes de son visage et s'inquiète du temps qui passe, l'auditeur s'étonne qu'il passe si peu sur les lignes vocales de la soprano.
Comme le miroir qu'elle tient métaphoriquement sur sa voix et sa carrière radieuse dans ces circonstances tragiques, tout le programme est construit en miroir autour de cette Maréchale : commençant dans l'apaisement ("Calm Thou my soul" air composé par Haendel dans Alexander Balus) se poursuivant et se finissant dans la joie (avec un autre visage et deux autres airs du même Haendel, "To fleeting pleasures make your court" de Samson, “Endless pleasure, endless love” de Semele, menant vers l'arc-en-ciel final : “Over the Rainbow”), avec si besoin un peu de mordant ("Malurous qu'o uno fenno" et "Baïlèro" de Joseph Canteloube), passant et volant sur la tendresse ("Si mes vers avaient des ailes" de Reynaldo Hahn), joie et tendresse encadrant la tristesse et la nostalgie (“Adieu, notre petite table” pleure la Manon de Massenet avec autant d'intensité que psalmodie “Io son l’umile ancella” Adriana Lecouvreur de Cilea, puis “O mio babbino caro” pour attendrir Gianni Schicchi chez Puccini).
Elle élargit encore et toujours son répertoire, sa voix et la connaissance du public en lui présentant et interprétant "Ich soll ihn niemals, niemals mehr sehn" dans Die Kathrin de Korngold (un peu plus connu pour La Ville morte) et lorsqu'elle chante Musette de La Bohème, ce n'est pas celle de Puccini mais celle de Leoncavallo.
L'immense richesse et diversité du répertoire choisi naviguant aisément entre baroque et vérisme, vocalises appuyées et appuis lyriques délicats, dans pas moins de cinq langues (dont l'Auvergnat donc, précisément l'occitan aurillacois recueilli par Canteloube et traduit par des sous-titres en anglais comme tous les airs dans cette retransmission) est à l'image de la carrière de Renée Fleming et de la voix dont elle dispose encore et toujours. L'organe pétille et s'anime de bonheurs baroques, puis se creuse (les traits expressifs aussi en gros plan cinématographique) dans des adieux déchirants à la petite table de Manon qui rappelle une mort de Mimi.
La voix est toujours filée et intense comme la ligne mélodique prolongée en résonances dans l'écrin de ce salon musical (comme elle passerait aussi bien si les micros étaient rapprochés d'elle comme au musical ou au cinéma, ou bien absents comme à l'opéra ou au théâtre). Les accents sont aussi appuyés, dans toutes les langues qui sonnent naturellement et intensément articulées. La voix est toujours aussi complète, du grave à l'aigu, aussi complète et large que le répertoire et les émotions. D'autant que la chanteuse présente, explique, raconte, ses choix de répertoire avec autant de clarté et d'inspiration qu'elle les chante (d'autant que les airs sont entrecoupés par des extraits de sa carrière triomphale au Met -et même au Super Bowl- en forme de documentaire hagiographique).
Et en bis, la chanteuse berce avec tout autant de lyrisme et de velours dans la fameuse "Wiegenlied", Guten Abend, gute Nacht. Belle soirée en effet, belle nuit pleine de doux rêves...
Si Alexander Fleming avait découvert la pénicilline pour soigner une maladie d'amour, Renée Fleming a trouvé une forme de traitement contre la morosité du confinement musical, en attendant que cette ordonnance (chacun de ces concerts étoilés organisés par le Met coûte 20$) soit remboursé par la sécurité sociale.
Calendrier complet des prochaines retransmissions :
16 août : Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak, Château de la Chèvre d’Or à Èze, France
29 août : Lise Davidsen, Oscarshall Palace à Oslo, Norvège
12 septembre : Joyce DiDonato, Fundació Hospital de la Santa Creu i Sant Pau à Barcelone en Espagne
24 octobre : Diana Damrau et Joseph Calleja, Malte (château à déterminer)
7 novembre : Pretty Yende et Javier Camarena à Zurich, Suisse (lieu à déterminer)
21 novembre: Sonya Yoncheva, Berlin, Allemagne (lieu à déterminer)
12 décembre : Bryn Terfel, Pays de Galles (église à déterminer)
19 décembre : Angel Blue, New York City (lieu à déterminer)
[reporté au 23 janvier 2021] : Sondra Radvanovsky et Piotr Beczała, initialement prévu en direct depuis Barcelone
[reporté au 6 février 2021] : Anna Netrebko, récital initialement prévu depuis le Palais Liechtenstein à Vienne