L’Élixir d’Amour se goûte avec bonheur à l’Opéra des Landes
Cette édition 2020 du Festival lyrique de Soustons n’aura pas été de tout repos, loin s’en faut, et les conditions sanitaires ne sont pas les seules à blâmer. Dans le respect de ces dernières, l’Opéra des Landes s’est adapté afin de donner ses concerts en plein air, et notamment dans le Parc de la Pandelle, sous les chênes lièges. Après la pluie annoncée qui n’est jamais tombée, obligeant les organisateurs à utiliser la solution de repli lors de la représentation précédente, c’est cette fois une coupure de courant qui est venue perturber la représentation. Malgré cela, le public fidèle et toute l’équipe du festival ont gardé le sourire et ont tout fait pour que la soirée se passe au mieux.
Le metteur en scène et Directeur du festival, Olivier Tousis, aidé du scénographe Kristof t’Siolle, a su mettre à profit le charme du lieu, utilisant à dessein la jolie maison du parc comme décor, pour ainsi nous emmener aux sources de cet Élixir largement inspiré du Philtre d’Auber, dont l’action se situe «Dans les campagnes de l’Adour», comme l’indique le livret. Dans une scénographie très seventies fraîche et colorée, et un esprit d’opérette, les chanteurs donnent vie à l’œuvre avec une légèreté toute estivale, dans le doux bruissement du vent dans les arbres. Ne manquent plus que le chant des cigales et le bruit des glaçons pour donner l’illusion parfaite d’un après-midi au bord de la piscine, d’autant que la proximité de la scène ajoute une certaine dose de charme supplémentaire. Beaucoup de jolies trouvailles scéniques apportent humour et esprit au livret tout de même assez restreint : l’arrivée du docteur Dulcamara en professeur Raoult dans une superbe 2CV rouge, un agent ERDF qui interrompt la représentation (clin d’œil in extrémis aux conditions délicates de la soirée), un Nemorino accordéoniste (et doué), un notaire équilibriste, un joli tableau d’ombres chinoises, font partie des grands moments de cette soirée. Malgré tout, certaines scènes se révèlent parfois trop statiques et n’offrent aux chanteurs que peu de possibilités expressives.
Du point de vue musical, c’est une version au piano, sans chœur et quasi intégrale qui est proposée, avec beaucoup de dialogues en français, très bien écrits, qui font avancer l’action et explicitent ce qui a été coupé et dans lesquels les cinq chanteurs se révèlent excellents comédiens. Philippe Forget à la direction et Mathieu Pordoy au piano forment un duo très efficace et font preuve d’une très belle communication, qui les autorise à beaucoup de souplesse tout en conservant une grande précision. Les chanteurs gagnent en liberté et l’ajout d’une trompette (Yannick Belkanichi) et d’une caisse claire (Corrine Barreyre) dans certains passages fait largement oublier l’absence d’orchestre. Les deux musiciens remplacent même le chœur sur quelques phrases avec un talent indéniable. Le trompettiste donne également de sa personne en jouant le rôle du valet très jetset du docteur Dulcamara.
Le Nemorino de Pierre-Emmanuel Roubet est très inégal, aussi bien vocalement que scéniquement : la voix est intéressante mais tarde à se réveiller, les aigus sont beaux mais restent parfois dans la gorge, le timbre est souvent trop nasal, et malheureusement un manque de souffle l’empêche par moments de laisser libre cours à sa sensibilité musicale. Son interprétation manque d’ancrage et de profondeur, et le chanteur reste trop en surface, en dehors du personnage. S’il se révèle enfin dans le célèbre duo de l’élixir au premier acte, donnant l’impression d’incarner pleinement le personnage, il est moins à l'aise dans le grand air Una furtiva lagrima, peu aidé par la mise en scène : posté devant une fenêtre du premier étage, il peine à transmettre l’émotion, malgré une belle interprétation vocale.
Marie-Bénédicte Souquet est une Adina tout en charme et en séduction, faisant preuve de belles lignes vocales, mais souffrant de faiblesses dans les graves et d’un manque de puissance. Malgré une belle maîtrise des nuances, la chanteuse a trop tendance à détimbrer sa voix, qui sonne alors fatiguée et porte beaucoup trop d’air, notamment dans les vocalises. Malgré cela, son interprétation reste drôle et sans lourdeur, parvenant même à émouvoir dans le très bel air du second acte Prendi, per me sei libero.
Le baryton Frédéric Cornille est tout à fait convaincant en Belcore imbu de lui-même et séducteur coquin. Sa technique sûre et sa longueur de souffle lui permettent une grande agilité, malgré une toute petite tendance à larynger certains sons. Son interprétation est sans défaut, pleine d’humour et de subtilités, sans jamais sortir du personnage.
Kristian Paul, quant à lui, est presque la star de la soirée, en génial charlatan à la très belle voix de stentor, montrant brillance et agilité, et impressionnant dans la qualité de sa diction, notamment dans le premier duo avec Nemorino. Son entrée triomphale en 2CV ne fait qu’ajouter à son potentiel comique, qui se dévoile sans accroc tout au long de l’œuvre. Pour finir, Anaïs de Faria offre une voix intéressante mais qui reste à développer, manquant encore de souplesse et de vibrato, mais fait preuve d’un grand talent théâtral.
Malgré les aléas de l’électricité, la représentation est un succès et le public semble séduit par sa soirée sous les arbres, et ravi d’avoir pu soutenir ce festival une année de plus.