Classique Albâtre, et les deux rives de la Manche se rejoignent
Depuis Debussy qui acheva La Mer à Pourville, jusqu'à Monet qui vint capter la lumière de Varengeville, où Georges Braque et Albert Roussel reposent face à la mer, en passant par Satie, Ravel ou Cocteau, énumérer les artistes inspirés par l’éclatante blancheur et la lumière de la Côte d’Albâtre serait interminable. De l’autre côté de la Manche, le Sussex est le territoire frère. Quoi de plus logique, donc, pour un festival, que de s’établir sur cette terre normande source d’inspiration et que de proposer, pour l’édition 2020, un récital « l’Angleterre en Normandie » ?
Classique Albâtre a fait de Grainville-la-Teinturière, dans le Pays de Caux cher à Maupassant, son lieu de résidence. Dans le parc de l’Ange Gardien, devant un mur de silex et de briques, le public, masqué, écoute Hélio Vida, pianiste de la soirée et conseiller artistique du Festival, présenter la symbolique de ce récital ainsi que les œuvres.
Sea Fever de John Ireland exprime l’envie irrépressible de voir la mer, Les Chants du voyageur (Songs of Travel) de Ralph Vaughan Williams sont une chronologie de la vie, de la fougue des jeunes années à la mélancolie de la vieillesse. Trois airs de Duparc célèbrent la Nature. Sur des poèmes de Shakespeare, Let us Garlands bring (Apportons-lui des couronnes de fleurs) de Gerald Finzi clôt le programme. Et puisqu’on honore cette année Beethoven pour le 250ème anniversaire de sa naissance, le compositeur allemand, qui ne se rendit jamais en Angleterre, est célébré au piano par ses Sept variations sur God Save the King.
Le pianiste fait montre d’un engagement total au service de chaque œuvre, entre douceur pour Sea Fever, impétuosité qui sied aux premiers airs de Vaughan Williams, et vivacité sur le dernier air de Finzi. Le tour de force que représentent les Sept variations de Beethoven est exécuté de main de maître. Hélio Vida retranscrit avec brio les couleurs de chacune, légèreté et amusement, gravité et solennité. Sa complicité avec Huw Montague Rendall est évidente. Les airs s’enchaînent avec fluidité, chacun étant à l’écoute de l’autre.
En matière d’écoute, le public, s’il maîtrise la langue anglaise, se dispense de suivre le livret, tant la diction du baryton est un modèle de clarté et de précision. Comme son complice instrumentiste, il accorde un soin particulier à chaque couleur.
Sur Come away, come away, death, Huw Montague Rendall rend par la dureté des consonnes l’âpreté du texte shakespearien. Pour Duparc, l’articulation du français dispense les voyelles nasales d’un locuteur natif, sans le moindre accroc. Outre l’intelligibilité, la projection est toujours nette, dans les forte comme les pianissimi. Les aigus sont assurés et tenus pour le baryton. Même efficacité pour les mediums et les graves longuement tenus et les passages du grave au medium ou à l’aigu en un éclair de syllabe. Le vibrato est fin et distribué avec intelligence, en cohésion avec le livret.
La présence scénique est théâtralisée pour Shakespeare. Solaire et souriant sur Who is Silvia ? le baryton est tout en légèreté sur le célèbre interlude It was a lover and his lass de As You Like It, pastoral à souhait.
Après les ovations, Hélio Vida et Huw Montague Rendall offrent en rappel Gounod et l’air de Valentin Sol natal de mes aïeux issu de Faust, conservant l’un et l’autre les qualités du récital. Le choix du rappel est aussi un clin d’œil personnel, car le public apprend que le baryton, après des recherches généalogiques, a découvert que ses ancêtres étaient partis avec Guillaume le Conquérant ! Comme Hélio Vida, Grainvillais de cœur, le baryton a sa carte de Grainvillais honoraire assurée. Elle l’aurait sans nul doute été sans ce clin d’œil, pour Huw Montague Rendall le Conquérant du public normand.