Récital Günther Groissböck à Vienne
Mélancolie et grandeur du destin et de la mort
Le répertoire choisi est une méditation poétique sur le destin et la mort, sans doute une continuation directe du dernier enregistrement de Groissböck, Herz-Tod (2018). Les personnages et les allusions à la mythologie, parfois narrés, parfois incarnés, soulignent les nuances affectives de l’homme luttant contre son propre destin. Pour manifester ces nuances de manière encore plus frappante, les ph(r)ases du répertoire sont martelées avec les lectures alternées de Schiller et de Brecht par Uwe-Eric Laufenberg, actuellement Intendant du Staatstheater Wiesbaden où Groissböck a donné le même répertoire en mai dernier.
La soirée débute par la révolte de l’homme, incarnée par la figure mythologique Prométhée dans le poème de Goethe mis en musique par Schubert. Groissböck va directement à l’essence du poème avec audace, mettant en valeur son timbre riche, épais et plein de gravité. La maîtrise de la voix souligne une longue respiration qui va de pair avec une articulation naturelle et une diction qui ne reculent aucunement devant la grandeur et le tragique du poème. Cette qualité est évidente dans les Lieder placés sous le signe du renoncement et de la mort : Odins Meeresritt (La balade maritime d’Odin), de Carl Loewe d’après le poème de Schreiber, Fahrt zum Hades (Voyage à Hadès) de Schubert d’après le poème de Mayrhofer, et notamment Der Tambourg’sell tiré Des Knaben Wunderhorn (1899-1901) de Mahler. Lors des élans les plus aigus, les notes hautes sont atteintes de manière graduelle, néanmoins puissamment. Dans un même temps, la voix est capable de méditation et de tendresse, notamment dans Grenzen der Menschheit (Les limites de l’humanité), toujours d’après Goethe, et Memnon d’après le poème de Mayrhofer. Lors des passages méditatifs, la régularité et la force tempérée de la voix se laissent remarquer à travers le registre bas. La dernière strophe de Fahrt zum Hades, est une démonstration de cette qualité, surtout lors de la plongée graduelle de la voix vers les notes profondes.
De surcroît, Groissböck ne se contente pas de seulement bien chanter. Sa compréhension de la poésie se manifeste évidemment dans sa manière d’articuler et de nuancer certains mots qui sont directement liés à l’essence des poèmes. Memnon et Urlicht (Lumière primitive), également tiré Des Knaben Wunderhorn et qui conclut le cycle de Lieder de la soirée, sont particulièrement frappants, déchirants dans leur mélancolie incarnée à travers le chant. Par conséquent, la poésie n’est aucunement reculée en arrière-plan : au contraire, elle est livrée et expliquée par son union avec la musique. Cela n’est pas une surprise pour ce wagnérien reconnu.
Le point culminant de la soirée se situe sans doute à la fin non annoncée du programme : l’adieu de Wotan (au dernier acte de La Walkyrie). Un aperçu, sans doute, de ce rôle que Groissböck aurait à Bayreuth dans la production de Valentin Schwarz cet été, annulée à cause de la crise du virus. Lors de ce moment, le chanteur devient tragédien. Des marques subtiles de fatigue pendant Der heilige Franziskus (Le saint François) de Loewe sont vite oubliées au profit du couplage entre passion et ferveur qui caractérisent la lamentation du dieu impuissant. L’adieu de Wotan offre ainsi une synthèse des capacités vocale et dramatique de Groissböck. Plus qu’un engagement, ce récitatif révèle une transe.
Une espérance de plus pour après la crise.