Don Giovanni à Massy : entre immobilisme et passion
Dès que les
musiciens terminent de s’accorder, le spectateur massicois
comprend le parti pris des metteurs en scène : après une brève
intervention de Leporello devant le rideau fermé comme il était jadis de coutume, le velours rouge se
transforme en écran sur lequel sont projetés des paragraphes
rappelant la situation initiale de l’intrigue. Ainsi plongé dans
l’histoire, le public découvre alors un décor en trois parties.
De chaque côté de la scène ainsi qu’au fond, de grandes arches
se dressent, servant tantôt d’issue, tantôt de refuge aux
personnages. Leur couleur marbrée tranche avec l’écran disposé
derrière elles, présentant un paysage de campagne italienne à la
tombée de la nuit.
C’est précisément cet entre-deux dont il est question ici : Don Giovanni est-il un homme libre ou un pécheur ? Les personnes qu’il séduit sont-elles victimes ou vaines de croire ses mensonges ? Certains personnages comme Leporello ou Donna Elvira quant à eux jouent sur le fil du rasoir tout au long de l’intrigue. Ainsi, cette dualité est-elle représentée par Peirone et Gualtiero à travers l’expression corporelle des artistes et leur position sur scène. Ici, la passion dévorante de Giovanni se heurte à l’immobilisme des personnages : se mouvant lentement et posant tels des statues, ils sont généralement positionnés en miroir, pour souligner l’opposition entre eux. De même, les costumes d’époque s’opposent : les personnages affrontant le séducteur se déclinent en couleurs vives sur des tissus satinés quand les autres sont vêtus de couleurs neutres.
Dans le rôle-titre, Luca Dall'Amico se montre performant comme son timbre de baryton-basse sied au personnage par son charme et sa profondeur. Ne manquant jamais de puissance, il projette suffisamment vers le public. Pour se détourner des directives de la mise en scène, il présente une palette d’émotions déclinées dans sa voix mais surtout sur son visage, parfois déformé par une sorte de folie furieuse. Pourtant il semble parfois se laisser emporter, avançant quelque peu sur l’orchestre bien que restant maître de son souffle.
Son (pas si) fidèle valet Leporello est incarné par l’italien Alberto Bianchi. Il s’empare du rôle avec aisance et se fait star de l’histoire : à maintes reprises, le public rit de ou avec lui sans jamais donner dans le gag gratuit, notamment lors de la scène du balcon ou de la danse avec Masetto. Son timbre de velours est bien appuyé et rond, lui conférant une certaine bonhomie et lui permettant de rester audible lors des tutti.
La brillante Yeonjoo Park prête son soprano à l’endeuillée Donna Anna avec rondeur et élégance. La jeune coréenne qui revient sur la scène de l’Opéra de Massy séduit toujours le public par sa projection aisée et son aura. De son côté, la hongroise Viktoria Varga interprète une Donna Elvira tiraillée entre colère et envie, émotions véhiculées par une artiste aussi bien actrice qu’interprète. La soprano tricote les arpèges et ornements avec délicatesse et propose des attaques de phrasés toujours en douceur, en utilisant la résonance de son arrière gorge, le menton légèrement baissé.
La jeune Mar Esteve i Rodrigo ravit le public de son mezzo-soprano léger et de son jeu d’actrice. Mutine puis menaçante Zerlina, elle convainc par sa fraîcheur ainsi que sa maîtrise des graves et des pianissimi. Son compagnon, le jaloux Masetto, est incarné par Gianluca Failla. Le baryton, bien qu’entouré de voix puissantes, n’a pas à rougir de son instrument et donne le change avec une prestance arrogante. Francesco Marsiglia est un Don Ottavio plus discret sur scène. Son manque de projection ainsi que la rigidité de la performance l’empêchent de se faire une place dans l’oreille du public. Enfin, David Cervera est un Commandant en demi-teinte, dont le vibrato large ne permet de cacher un manque de puissance certain.
Autour de cette distribution, Constantin Rouits mène avec souplesse un Orchestre de Massy toujours homogène et nuancé, accompagné de la compagnie lyrique Opera 2001. Sur scène comme en fosse, ces choristes assurent une partition impeccable ainsi qu’un jeu d’acteurs dignes des plus grandes productions.
Si le talent des artistes conquiert le public de Massy, le parti pris par les metteurs en scène semble avoir laissé certains spectateurs de marbre (comme la statue du commandeur). En effet, Don Giovanni est emmené vers le fond de la scène par les protagonistes masqués et vêtus de noir où il disparaît dans une grande tête de cheval, avalé par les flammes. Une fois la sentence livrée, les chanteurs se découvrent et viennent se positionner en avant-scène pendant que le rideau tombe derrière eux. Quelques secondes de flottement sont alors palpables avant que le public n’applaudisse, visiblement troublé par l’exécution de la scène finale : sur la retenue, il finit par saluer le travail des chanteurs et des musiciens avec plus d’entrain.