Réforme des retraites : la Grève se ravive suite au 49-3
La grève contre la réforme des retraites, qui avait d'abord entraîné l'annulation de tous les spectacles à l'Opéra national de Paris entre le 5 décembre 2019 et le 25 janvier 2020 était depuis passée dans une seconde phase, avec des annulations prévues "uniquement" les soirs de première et de grève nationale, mais les opposants visiblement échaudés par ce qu'ils considèrent comme un "nouveau coup de force contre le régime social historique français" reprennent les formes de contestation des débuts du mouvement. Ce dimanche 1er mars 2020 entre 17h30 et 18h, ils offrent ainsi une nouvelle manifestation publique et artistique aux personnes réunies (environ 300) devant la Comédie Française : en l'espèce, des extraits de Molière résonnant par sous-entendus et allusions acides avec la dénonciation du régime actuel, le tout en musique.
La météo des plus désagréables avait pourtant de quoi refroidir les ardeurs des personnels artistiques et des sympathisants réunis contre la réforme des retraites ce dimanche 1er mars à 17h30 sur la Place Colette (celle du Théâtre de la Comédie Française au centre de Paris), au lendemain de l'emploi par le gouvernement du "49-3". Ils sont pourtant bien présents, acteurs donnant de la voix et musiciens jouant pour les accompagner, d'autant que la pluie s'interrompt finalement, juste le temps de la manifestation.
Certes, il semblait depuis fort longtemps possible et de plus en plus probable que le gouvernement engagerait ainsi sa responsabilité avec cet outil législatif, l'article 49-alinéa 3 dans notre Constitution de 1958 qui lui permet de couper court aux débats, sensiblement prolongés par les plus de 40.000 amendements déposés par l'opposition contre la réforme des retraites. Les opposants à la réforme n'en ont pas moins reçu la nouvelle comme une douche froide, aussi froide que la pluie glacée en copeaux de givres soufflée par le vent glacial sur la place Colette en ce sombre dimanche après-midi.
L'article 49-3 a en effet été activé à un moment inattendu et d'une manière surprenante : par une venue non prévue du Premier Ministre à l'Assemblée nationale samedi 29 février vers 17h30 (exactement 24 heures avant la manifestation place Colette, donc), M. Édouard Philippe informant avoir été autorisé pour ce faire par le Conseil des Ministres réuni exceptionnellement le matin même, mais dont l'ordre du jour portait sur le Coronavirus.
L'emploi effectif du 49-3 vient ainsi raviver les mouvements de grève qui ne se sont jamais complètement arrêtés à l'Opéra de Paris et à la Comédie Française (comme en divers lieux culturels et ouvriers français). Les artistes renouent ici avec leurs "happenings" : après les concerts sur les marches de l'Opéra Bastille les 18 et 31 décembre et Le Lac des cygnes devant Garnier le 24 décembre 2019, c'est devant le troisième haut lieu de culture et de lutte parisienne contre cette réforme que se sont réunis comédiens et musiciens cet après-midi.
Les musiciens sont installés sous les voûtes de l'entrée du théâtre. Cuivres et tambours interprètent d'abord une marche funèbre, ce sont ensuite les cordes qui accompagnent la performance théâtrale. Même dans le froid et les conditions de plein air, ces musiciens restent justes et en place, rappelant la qualité de leur formation.
Au sol, au balcon et même aux fenêtres des étages, des personnages maquillés et costumés interprètent les personnages de Molière, s'échangeant des tirades amplifiées par hauts parleurs (ces happenings ont lieu devant l'Opéra et la Comédie Française aussi pour des raisons logistiques, et des agents de sécurité en tenue sont même visibles sur les balcons).
Ces différentes tirades sont ponctuées par le slogan affiché sur deux pancartes : "Mes Gages" repris trois fois par le public. Cette citation, sert aussi bien de référence au théâtre (avec Molière), à l'Opéra (avec l'opus de Mozart-da Ponte) qu'à dénoncer la réforme des retraites, comme Leporello dénonce son traitement par Don Giovanni.
Les citations se feront de plus en plus grinçantes et riches dans leur verve :
Apprenez de moi, qui suis votre valet, que le Ciel punit tôt ou tard les impies, qu'une méchante vie amène une méchante mort (extrait de Don Juan ou le Festin de pierre)
Vous savez mieux que moi, quels que soient nos efforts, - Que l'argent est la clef de tous les grands ressorts, - Et que ce doux métal qui frappe tant de têtes, - En amour comme en guerre avance les conquêtes. (L'École des femmes)
Bien évidemment, la pièce la plus allègrement citée est L'Avare :
De l'argent, de l'argent, de l'argent ! Ah ! Ils n'ont que ce mot à la bouche ! De l'argent ! Toujours de l'argent !
C’est la faute de monsieur notre intendant, qui m’a rogné les ailes avec les ciseaux de son économie.
Est-ce que vous avez envie de faire crever tout le monde ?
Cette cassette est donc un important mystère ?
Les citations suivantes sont particulièrement applaudies :
Qui est le plus criminel à votre avis, ou celui qui achète un argent dont il a besoin, ou bien celui qui vole un argent dont il n'a que faire ?
Le seigneur Harpagon est de tous les humains, l'humain le moins humain; le mortel de tous les mortels, le plus dur, et le plus serré.
La peste soit de l'avarice et des avaricieux
ainsi qu'une incartade hors de chez Molière :
Eh bien ! vous triomphez avec cette retraite,
Et dans ces mots votre âme a ce qu’elle souhaite ;
Mais apprenez qu’en vain vous vous réjouissez,
Que vous serez trompé dans ce que vous pensez ;
Et qu’avec tous vos soins, toute votre puissance,
Vous ne gagnerez rien sur ma persévérance. (Myrtil et Mélicerte de Nicolas-Armand-Martial Guérin d'Estriché)
La cérémonie se poursuit, quatre banderoles sont déroulées, affichant les noms des métiers faisant vivre les théâtres. C'est ensuite un vol symbolique de la cassette qui est commis : un aristocrate poudré fait descendre par une poulie une boîte de bois noire comme un coffret-cercueil. De quoi dénoncer pour les artistes ce qu'ils considèrent comme une spoliation de leurs droits (acquis et maintenus d'ailleurs depuis l'Ancien Régime). L'occasion aussi pour tout le monde de crier (comme à destination du gouvernement) "Au voleur, Au voleur, à l'assassin, au meurtrier". Puis "Macron Démission".
Un communiqué est lu en conclusion, rappelant la détermination de la lutte contre cette réforme, a fortiori au lendemain du 49-3 :
"Nous joignons aujourd’hui nos voix à toutes celles qui partout dans le privé comme le public dénoncent les conditions de vie toujours plus précaires.
Simul et singulis : être ensemble et être soi-même, telle est notre devise. La Comédie Française ce sont 3 théâtres, 930 levers de rideaux par saison, 400 personnes et plus de 70 métiers différents, tous tournés avec exigence vers les représentations du jour.
Spécificité n'est pas privilège. En 1914, 30 ans avant la création de la Sécurité sociale, un régime a été mis en place dans notre maison pour prendre en compte la singularité de nos métiers. Nous en sommes fiers. Nous sommes profondément attachés à nos différences et à nos particularités, qui nous permettent de chercher la beauté et la poésie dans une expression collective, dans un esprit de partage et de solidarité qui sera toujours le nôtre.
Merci à tous pour votre présence."
Le rassemblement se conclut, entonnant en chœur : "Et on ira, et on ira jusqu'au retrait".
Comme nous le rappelions dans nos précédents articles, les grévistes peuvent se déclarer comme tels jusqu'à la prise de service et nous ne pourrons donc vous informer sur la tenue ou non des différents spectacles que quelques heures avant les représentations, voire moins.