Offenbach & Wachs, Drôle d’audition au Palazzetto Bru Zane
C'est par un fléchage constitué d’affiches annonçant les auditions pour « Un mari dans la serrure » que le public est accueilli au Palazzetto Bru Zane, scène capitale de la musique romantique française, situé à Venise. Quelques heures plus tard, ce sera porte close et serrure bouclée, la Sérénissime étant mise à l'arrêt, suite au coronavirus.
Dans cet ancien casino transformé pour l’occasion en salle d’audition, le spectateur attend la première candidate qu’appelle un impresario aux allures de mafioso. Arrive donc Fräulein Thérézina qui pour cette audition va revêtir un somptueux costume de geisha japonaise (conçu comme les autres costumes par Mathieu Crescence) tiré d’un sac en toile de jute sur lequel est inscrit Butterfly que lui a jeté l’impresario. Le ton du spectacle dans son ensemble est donné : comique léger et surréalisme des situations.
Retrouvez la présentation de ces œuvres par son metteur en scène, Romain Gilbert
Dans cette version concertante, pas de décor mais une direction efficace, avec deux acteurs/comédiens hilarants et déjantés. Un mari dans la serrure peut ainsi plonger allègrement dans le théâtre de l’absurde. Solitude, souffrance, absurdité de la condition humaine sont perceptibles même si le dénouement semble heureux, les deux protagonistes décidant de se marier. Dans la mise en scène de Romain Gilbert, ce bonheur sera de courte durée puisqu’on retrouve (pour servir de transition entre les deux opérettes) Thérézina, seule, assise sur le rebord de la scène, pleurant parce qu’elle n’a pas obtenu le rôle rêvé. Sous ces allures de divertissement, cette pièce pointe des sujets qui dérangent. Il est question de la condition des femmes, des pauvres, des comédiens et des musiciens de l'époque, de meurtre aussi. Dans la philosophie de l’absurde, le comique se mêle à tout (ici construit à la façon d’un cadavre exquis d’une foule de détails insolites projetant dans une situation invraisemblable) et c’est là tout l’intérêt de cette opérette avant-gardiste. Dans Lischen et Fritzchen, aussi intitulé « conversation alsacienne », la drôlerie repose surtout dans les quiproquos dus aux accents alsaciens bien sculptés par les deux interprètes.
Dans ce spectacle, l’interprétation et la gesticulation des deux acteurs/chanteurs sont donc essentielles et bien pensées pour faire rire et les rendre attachants. Adriana Bignagni Lesca est une actrice aux mimiques variées qui passent avec habileté du rire aux pleurs, aux craintes, au doute, à l’emportement. Elle peut être tout autant persiflante, sincère, que prendre à partie la salle et son incompréhension face à ses malheurs. Sa voix de contralto (plus que de mezzo) est charnue, ample, et dégage beaucoup d’énergie. Les graves poitrinés creusent un timbre caverneux. Elle reste pourtant compréhensible au plus grave de la tessiture et déploie des aigus puissants, fortement vibrés, un peu forcés cependant quand ils gagnent en volume. Damien Bigourdan au jeu suranné provoque le rire. Plus comédien que chanteur, il investit également beaucoup d’énergie dans son jeu, son parlé, son articulation, ses mimiques dans l’accent alsacien mais apporte moins de variété dans son émission vocale dont le timbre cuivré semble parfois (notamment dans les aigus) à la limite du nasal.
Voici un spectacle qui dans un contexte pesant a su redonner sourire et bonne humeur au public présent.