Jeunes voix sous les ors de Garnier
Le gala de l’Académie de l’Opéra de Paris est un enjeu pour les jeunes chanteurs de l’Opéra, au seuil de leur carrière professionnelle. Si certaines entrées et déplacements sont ici discrètement mis en espace par Pascal Neyron, chacun des interprètes de l'Académie doit démontrer sa présence scénique et sa capacité à tenir un public, avec plus ou moins de finesse selon chacun. Il s’agit pour eux d’une occasion de montrer non seulement leur voix mais aussi leur personnalité artistique propre sur l’une des plus prestigieuses scènes du monde de l’opéra. Ils sont accompagnés en cela par l’Orchestre de l’Opéra de Paris où se distinguent aussi des jeunes visages d'instrumentistes de l’Académie, répartis dans les pupitres de cordes. La baguette pleine d’entrain de Patrick Lange oublie parfois de réguler la puissance de l’orchestre qui, n’étant pas en fosse, couvre alors les voix.
La diversité du programme en soutient l’intérêt : Mozart côtoie Poulenc, les airs et ensembles connus sont entremêlés de bijoux lyriques. Précédées par un prélude orchestral d’une grande richesse en timbres instrumentaux, les chansons de Lel mettent à l’honneur la voix de contre-ténor de Fernando Escalona. Particulièrement détendu sur le plateau, il offre un chant à la fois touchant et railleur. Malgré un vibrato chevrotant dans le médium, sa voix se déploie dans une phrase a cappella immatérielle dont les notes aiguës sont assurées et libres. Au dédaigneux Lel répond le timbre onctueux et émouvant de Kseniia Proshina, qui interprète La Fille de neige, rôle figurant déjà à son répertoire. Parmi la troupe des jeunes chanteurs, elle démontre une grande maîtrise dans l’alliance entre le vocal et le scénique. Elle propose un phrasé habité et ciselé, sans rupture de sens, imprégné de la douleur des mots et de la musique. Versatile dans le jeu, elle est une Clorinde (Cenerentola, Rossini) tout aussi moqueuse. Les chanteurs vont et viennent ainsi entre un répertoire léger musicalement et dramatiquement à des œuvres plus chargées émotionnellement et vocalement. La voix pure de Liubov Medvedeva se rit des suraigus de Blondchen qu’elle atteint avec facilité. Elle a cependant tendance à effacer les consonnes autant dans sa prononciation allemande que française (« Doute de la lumière », Hamlet, Thomas), faisant disparaître le texte – et donc le jeu – au profit des seules notes. La légèreté de sa voix peine parfois à passer la rampe, notamment dans les forte et les ensembles. Le ténor Tobias Westman offre un timbre sombre et alangui aux aigus assumés et puissants. Malgré une diction irréprochable, il fournit un jeu figé et naïf à la fois dans l’air de Belmonte (« Kostanze ! […] O wie ängstlich », L'Enlèvement au Sérail, Mozart) et dans son interprétation du Chevalier de la Force. Il démontre cependant une agilité de nuance remarquée dans la conduite de ses piani aigus.
Face à lui se dresse la flamme qu’Andrea Cueva Molnar donne à Blanche de la Force, apportant à cette scène clef des Dialogues des Carmélites (« Pourquoi vous tenez-vous ainsi ? », Poulenc) sa tension émotionnelle. Son timbre cristallin souligne la jeunesse et les tourments juvéniles qui agitent les destins de Blanche comme d’Ilia (« Padre Germani », Idomeneo, Mozart). La fluidité avec laquelle elle conduit ses phrasés est doublée d’une grande homogénéité entre les registres, permettant assurance et élégance dans son chant. Le timbre corsé de Timothée Varon s’épanouit mieux scéniquement et vocalement pour le Comte qu'en Hamlet. Il prend plaisir visible à incarner la vile fermeté du personnage dans Les Noces. Chaque mot est habité d’une intention, conduit par un phrasé pensé et délivré par une autorité sans faille. Ses piquants Dancaïre et Dandini témoignent de son affinité pour ce répertoire léger. Alexander York affronte avec bravoure le délicat « O du mein holder Abendstern » (Tannhäuser, Wagner). Si ses aigus décrochent parfois, ses graves sont profonds et raffinés. Il s’investit davantage en Don Magnifico par une projection exagérée des voyelles aussi comique que bénéfique, sa voix devenant plus assurée. Mère Marie autoritaire, Mercedès sensuelle et Tisbé acerbe, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur est une Béatrice inégale dans l’interprétation. Un peu effacée dans la première partie de l’air, elle s’enflamme dans sa déclaration d’amour, libérant sa puissance vocale et la richesse homogène de sa voix, des graves soyeux aux aigus assurés. La soprano Ilanah Lobel-Torres propose une Micaëla timide au timbre chatoyant. Bien qu’un peu serrés, ses aigus sont brillants et stables. Prudente, elle peine à se détacher du geste du chef d’orchestre aux dépens de sa liberté de jeu. Ténor jovial du concert de l’ouverture de saison, Ki Up Lee se distingue par sa générosité, vocale comme scénique, ainsi que par une diction française remarquée. Les aigus et suraigus que sa voix légère atteint avec aisance sont justement placés dans un phrasé toujours conduit et vécu. Il passe avec assurance les morceaux de bravoure de Berlioz (« Ô Blonde Cérès », Les Troyens) comme de Rossini (« Siete voi […] Questo è un nodo avviluppato », La Cenerentola). Enfin, la mezzo-soprano Ramya Roy enchante la salle par sa voix naturellement puissante et profonde. Si sa Carmen manque encore de sensualité, son timbre chaud est homogène dans tous les registres, d’une voix de poitrine libre aux aigus puissants de Cenerentola qui emplissent sans effort la salle de l’Opéra Garnier.
Les grands ensembles témoignent de la complicité de la troupe : le panache et la malice avec lesquels ils délivrent le chant syllabique de Rossini montrent le plaisir qu’ils prennent à chanter ensemble et la passion qui les habitent pour ce métier.