Beethoven Pastoral pour sauver la planète, au Grand Théâtre de Provence
Artiste associée au Grand
Théâtre de Provence, Laurence Equilbey
a décidé de renouveler l'expérience de La Création de Joseph Haydn, qu’elle
a menée en compagnie de Carlus Padrissa, pour la mise
en scène et la vidéo, et la troupe catalane La Fura dels Baus, spécialisée dans le théâtre, le spectacle de rue
et l’opéra. Le thème du nouveau
projet est le climat : il s’agit, pour la cheffe d’orchestre,
« d’alerter les consciences ». La Symphonie
Pastorale est à l’honneur en
cette année anniversaire de Beethoven. Figure s’il en est de
l’héroïsme musical, le compositeur romantique est sollicité
pour contribuer au sursaut écologique. Cette création rejoint le
Beethoven Pastoral Project, initiative européenne sensibilisant aux
relations entre l’homme et la nature et incitant les musiciens du
monde à adopter une attitude écocitoyenne.
Pastoral for the Planet ! est construit en deux temps. La première partie accumule les catastrophes : guerres (cantate « Bataille et Victoire » de Carl Maria von Weber), l’exode ou la marche au désastre (l’« Allegretto » de la 7e Symphonie), la tempête (l’introduction « La tempête » des Créatures de Prométhée également de Beethoven, ainsi que l’orage tiré de Leonore d’Anton Reicha), et une ouverture de Julius Rietz. Bref, tout ce qui saccage la planète. Ces compositeurs appartiennent à la période humaniste et révolutionnaire. La deuxième partie cède la place à la lumière : la Pastorale jouée en entier est conçue selon Equilbey comme un « hymne à la nature, à la re-création et à la paix ».
La scénographie signée Mihael Milunovic repose sur le thème de la forêt. « Au départ, dit-il, j’avais une idée claire d’un arbre multi-faces, à plusieurs identités, symbolique, tel un totem, mais représentant aussi un personnage. L’arbre représente la verticalité, autrement dit l’humanité, la force de vie ». En contrepoint, un axe horizontal représente l’action de l’homme. Il s’agit d’un spectacle entre le théâtre instrumental (lorsque la clarinette joue un solo, elle sort de l’orchestre et participe à l’action), le théâtre musical (des acteurs miment et dansent, transportent, tirent des « fils » symboliques dans la salle), l’opéra-torio (voix lyrique, scène animée, décors, éléments suspendus, toiles et dessins, et musique en format concert).
La technique visuelle adoptée de mapping permet de déborder largement le cadre du plateau avec des projections à 360° à la hauteur de la Cause planétaire. Cependant, il n’est pas facile de saisir toujours les significations défilant dans le flot kaléidoscopique d’éclairs, de pluies, de verdures, d’animations géométrique, de portraits dix-huitiémistes, de cartes, d’oiseaux de malheur, entre collages et psychédélisme. Avec même un chœur « traditionnel » de mamies ukrainiennes un peu chamanes qui, telles des oracles, semblent proférer : « Fatalitas ! »
En outre, Carlus Padrissa opte pour un format de concert de type à la fois participatif et immersif. Il demande aux spectateurs d’intervenir sur la narration. Grâce à l’application Calliope téléchargée sur les smartphones, le public est sollicité (les téléphones vibrent, s’allument, transmettent des messages inquiétants, des images) et il peut interagir, par exemple voter en faveur d’une fin optimiste ou pessimiste.
L’Insula Orchestra, aux sonorités baroques rugueuses et colorées, est dirigé avec fermeté et chaleur par Laurence Equilbey. La soprano Sophie Karthäuser, intervient avec une voix pure, maîtrisée, habitée, vibrante, à la diction extrêmement soignée. Rappelant sa connaissance du répertoire mozartien et de cette esthétique classique, la soprano d'origine belge offre un grand détail aux phrasés avec de riches couleurs dans une expressivité douce.
Après le Grand Théâtre de Provence d’Aix-en-Provence, Pastoral for the Planet ! se rendra à Paris, en Allemagne, en Chine. Le 5 juin 2020, l’Insula Orchestra jouera lors de la Journée mondiale de l’environnement organisée par les Nations Unies.