Christoph Eschenbach fête ses 80 ans avec Matthias Goerne et l’Orchestre Philharmonique à Vienne
La première partie présente les cinq Rückert-Lieder de Mahler avec le baryton Matthias Goerne en soliste, la deuxième propose la transcription faite par Arnold Schoenberg du quatuor pour piano et cordes op. 25 de Brahms. Le choix des compositeurs et du programme est motivé par une tradition musicale profondément ancrée dans la culture viennoise. Brahms et Mahler vécurent et travaillèrent tous deux à Vienne, et tous deux furent chefs de l’Orchestre de Vienne.
Matthias Goerne se joint à l’accompagnement orchestral avec prudence et sensibilité, par une articulation aussi impeccable (même dans les fortes nuances mais sans exagération), respirant et racontant dans l'unité avec la musique instrumentale. Le timbre est soyeux mais la voix possède assez de corps, dense et solide avec une rondeur contrôlée à travers l'ambitus, pour s’imposer quand nécessaire. L’échange raffiné se poursuit jusqu'aux éclats de joie, rappelant les éclats de son récent Parsifal au Capitole de Toulouse (annonçant ceux du Château de Barbe-Bleue de Bartók puis de son récital au TCE). Les notes graves profitent naturellement du caractère soyeux du timbre, tandis que les notes hautes puisent aux ressources dramatiques avec équilibre et tempérance.
Pour l'accompagner comme pour la partie purement orchestrale, Christoph Eschenbach et le Philharmonique de Vienne soignent la masse sonore par le relief des bois. Les nuances sont nourries et maîtrisées, vers l'intériorité de la contemplation comme les éclats cuivrés, à travers les rythmes percussifs martelés et puissants. Le dernier mouvement, rondo alla zingarese: presto, impressionne particulièrement l'auditoire en conservant cette précise vigueur malgré la vitesse, recueillant ses tensions dans des pentes sonores jusqu’au paroxysme. La joie dionysiaque est scellée par la modernité des accentuations de Schoenberg. Eschenbach maintient sans faille l’équilibre sonore avec soin et sensibilité, fait ressortir toutes les couches sonores, fait "tout entendre".
La soirée à la fois intime et brillante est reçue par le public dans « un accord unanime de toutes les passions », comme l'écrivit E.T.A. Hoffmann.