Juditha de Vivaldi, la Femme triumphans au Théâtre des Champs-Élysées
Cinq divas pour cinq personnages de caractère se succèdent et se rencontrent sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées à Paris, rappelant que cette œuvre fut composée par Vivaldi pour les jeunes filles orphelines (ses élèves) de l’Ospedale della Pieta. Cinq voix qui créent ensemble une atmosphère émouvante et riche, dont la musique de Vivaldi est messagère. La musique est définitivement Femme ce soir, elle offre aux spectateurs des sentiments d’amour, de passion, d’humilité, mais aussi de guerre, de sang et de victoire.
Juditha a la voix triomphante de la contralto Marie-Nicole Lemieux, très suave, très expressive, soulignant sa mission divine et annonçant sa victoire sur Holopherne qu'elle décapite (lire l'argument de l'oeuvre ici). Ses graves et son médium sont ainsi tranchants, en délaissant certes le côté séducteur du personnage. L'investissement vocal et scénique est cependant à son maximum, comme toujours avec cette interprète qui embrase les lignes vocales et se fait une spécialité des caractères féminins les plus forts (elle donnera ainsi la réplique à Roberto Alagna pour Samson et Dalila cet été aux Chorégies d'Orange). Sa suivante Abra est confiée à Benedetta Mazzucato, chanteuse qualifiée de contralto mais dont les aigus sont purs, agiles, soufflés et soufflants, filés et tenus pour porter une tendre incarnation dans un univers brutal (rappelant le contexte de composition de cet opus).
Également contralto (registre rare mais indispensable pour asseoir les harmonies dans cet ensemble de voix féminines), Sonia Prina joue et chante Holopherne comme la figure Biblique qu'il est. Ses récitatifs sont particulièrement expressifs et culminent avec maestria vers les sentiments des arie, où la voix se fait raffinée quoique sur une virtuosité spectaculaire (elle reviendra au TCE pour Alessandro de Haendel). L’ambigu Vagaus, son serviteur eunuque auquel le compositeur confie une impressionnante inspiration, est tout aussi impressionnant dans l'incarnation d'Ana Maria Labin. Décontractée, sa caractérisation vocale est colorée et agile, particulièrement soutenue dans la douceur des sentiments nobles et galants. Enfin, même le prêtre (Ozias) a ici une voix de femme, celle de Dara Savinova qui campe, avec puissance et souplesse, l’équilibre et la sagesse.
Le chœur de chambre Mélisme(s) renforce encore la puissance féminine avec une élégance plurielle de phrasés : pour chanter aussi bien des soldats assyriens, des serviteurs à la table d'Holopherne, des vierges de Béthulie, des dîneurs d'Holopherne et des vierges de Sion. L’Ensemble Matheus renforce tout le spectre des caractères et ambitus, les riches expérimentations de timbre menées par le compositeur, la virtuosité (notamment du violon, Vivaldi le concertiste oblige) le tout dans une grande conscience du mouvement rythmique. Jean-Christophe Spinosi accueille avec joie les ovations du public enthousiaste, à la gloire du génie et de la femme.