Petites Noces de grands pour les petits au TCE
C’est désormais une tradition attendue du jeune public parisien : chaque saison depuis trois ans, le Théâtre des Champs-Elysées propose avec l’Opéra de Rouen une production participative à la durée et au format réduits, traduite si besoin en français, afin de s’adapter aux enfants. L’opus choisi cette année : Les Noces de Figaro. Le metteur en scène Gilles Rico, présente un Chérubin contemporain, visitant un musée dont les statues d’époque prennent vie. Le jeune homme, qui commence par les observer, finit par traverser le miroir pour interagir avec les personnages historiques. Cette confrontation temporelle permet des effets comiques façon Les Visiteurs (Suzanne qui essaie de manger le téléphone portable de l’adolescent dont elle ne comprend pas l'utilité) et offre au jeune public un personnage disposant de leurs codes. Le concept de mise en scène, pertinent pour les accompagnants, est toutefois difficile à suivre pour les enfants qui, à force de se poser des questions (pourquoi Chérubin est mort ? Pourquoi il ne l’est plus ? Pourquoi a-t-il des plumes dans son sac à dos ?), perdent leur concentration et leur écoute. La présence sur scène de personnages qui n’y sont pas dans l’intrigue finit de décontenancer les jeunes esprits, qui eussent probablement mieux goûté une lecture plus littérale de l’œuvre.
Les passages participatifs prouvent pourtant l’engagement et l’intérêt des écoliers pour cette musique. Les extraits chantés par le public sont en effet complexes, tant par leur vocabulaire que par leur rythmique, ce qui n’empêche nullement les têtes blondes de chanter avec enthousiasme et précision leurs parties manifestement soigneusement travaillées. Dans ce domaine, ce sont les adultes, moins préparés, qui sont en difficulté du fait de l’absence de surtitres ou de paroles dans le programme. Une fois n’est pas coutume, les jeunes chanteurs ne sont pas guidés par une cheffe de chant (comme c’était pourtant le cas lors du passage de la production à Rouen), mais directement par le chef d’orchestre, Iñaki Encina Oyón, très clair dans ses indications. Il dirige d’ailleurs l’Orchestre des Jeunes d’Ile-de-France avec la même limpidité, obtenant un accompagnement vivant et chatoyant de l’ensemble. Le continuo, allant, est un précieux support pour les récitatifs.
La jeunesse est aussi sur la scène. Le baryton Kamil Ben Hsaïn Lachiri, découvert dans l’air du Comte au concours Voix nouvelles, incarne ici un Figaro espiègle, à la voix corsée et joliment couverte, technique qui engendre toutefois une perte de volume l’empêchant de dépasser l’orchestre réduit. Il parvient à rester en place malgré l’accompagnement des enfants, dont l’interprétation rythmique est alors très différente de celle dictée par le chef. Dans le rôle de Suzanne, Tamara Bounazou apporte sa fraîcheur théâtrale et vocale. Sa voix duveteuse et fièrement projetée bénéficie d’un phrasé piquant et d’une interprétation scénique engagée.
Albane Carrère est un Chérubin adolescent, passionné et impulsif, à la voix fine et homogène du grave à l’aigu et sur toute l’étendue du spectre de nuances. Son timbre fruité et doux garde sa candeur adolescente. Gilen Goicoechea incarne un Comte à la voix charpentée et sonore, au timbre ombragé. Chloé Chaume, en Comtesse, offre une émission délicate n’empêchant nullement la puissance. Le vibrato est prononcé, entraînant parfois la voix vers des approximations de justesse malgré un legato soigné. Enfin, Pierre-Antoine Chaumien incarne Basilio avec un costume (et une perruque) qui génèrent des rires dès sa première apparition, pourtant muette et immobile, mais aussi dans la suite du spectacle. L’air de Basilio, pourtant coupé de la plupart des versions longues de l’œuvre, est ici conservé, lui permettant d’exposer une voix claire et puissante, manquant parfois de justesse toutefois.
Le jeune public est très réactif, au point que les rires et exclamations couvrent parfois la musique (et que le chef doit même demander qu’un récitatif soit repris pour être entendu). Les saluts finaux déclenchent même un enthousiasme habituellement réservé à l’arrivée sur scène des rock stars acclamées par leurs fans en délire. « Je n’ai rien compris, mais c’était trop bien ! », dit alors un enfant. Quand la musique est belle…