Sir Simon Rattle, Beethoven et Berg : un regard à travers le temps
Le programme conduit l’auditoire de Berg à Beethoven, d’un compositeur qui, bien qu’étant un précurseur dans la musique contemporaine, assuma pleinement ses liens avec ses prédécesseurs, à un autre qui, héritier de ses maîtres classiques inventa la symphonie romantique aux dimensions et à l’intensité inédites. Tous deux appartiennent à l’Ecole de Vienne, Berg aux côtés de Schönberg et Webern à la deuxième Ecole (explorant l’atonalité, le dodécaphonisme comme principe de composition utilisant sans hiérarchie les douze sons chromatiques et la musique sérielle) en référence à la première Ecole désignant les compositeurs Mozart, Haydn, Beethoven et Schubert.
La veine post-romantique des Sieben frühe Lieder est sensible dans les thèmes abordés, thèmes chers au XIXe siècle : nuit, rêve et Sehnsucht (nostalgie, vague à l’âme). Elle est également présente dans les références et les hommages de Berg aux maîtres anciens. Die Nachtigall et Im Zimmer prolongent Schumann et Brahms, Sommertag est d’expression straussienne et Nacht scintille de couleurs debussystes. Mahler et son goût pour les valses et les marches grotesques se retrouvent dans les Trois pièces op.6, ce qui déclencha les vives critiques de son maître Schönberg auxquelles Berg répondit : « Je vous remercie pour le blâme au même titre que tout ce que j’ai reçu de vous. je vous suis reconnaissant de m’avoir révélé la cinglante vérité en votre âme et conscience, sans restriction aucune. »
C’est avec la Symphonie n°7 que Beethoven s’est le plus engagé dans l’exploration rythmique, comme en témoigne Richard Wagner : « Tout le tumulte, tout le désir et les tempêtes du cœur deviennent ici l’insolence bénie de la joie, qui nous emporte avec une puissance de bacchanale. La Septième Symphonie est l’apothéose de la danse. ». Tant de modernité et d’audaces ont fait dire à Carl Maria von Weber que Beethoven était mûr pour l’asile !
A la croisée des chemins empruntés par ces deux compositeurs se dresse Sir Simon Rattle à la tête du London Symphony Orchestra, porteur d’une énergie fougueuse et d’une exigence de tous les instants. Dans une pulsation sans relâche, il entraîne la phalange à travers l’exubérance rythmique de la symphonie de Beethoven tout en modulant le son d’une multitude de nuances indiquées tantôt avec sa baguette tantôt à la main. Il respecte l’indication allegretto du deuxième mouvement, soit un tempo lent mais non traînant, la résignation du thème en forme de marche funèbre se teintant de grandeur avec les longs phrasés des contrechants. La grande précision de jeu des instrumentistes transforme les notes répétées du thème du troisième mouvement en rire sardonique. L’énergie époustouflante et soutenue du dernier mouvement laisse l’auditoire exsangue. C’est avec la même énergie que le chef délivre les pages de Berg, sa forte présence devant l’orchestre imposant des nuances extrêmes, des suspensions permettant la relance des phrases, rendant limpide le discours musical.
La soprano Dorothea Röschmann se joint à l’orchestre pour interpréter les Sept Mélodies de jeunesse en ouverture de concert. A l’instar du chef, elle allie un goût du détail et des nuances à un phrasé ample et lyrique. Le texte, dans sa langue maternelle, est appliqué, distinct et serti de consonnes percussives (NachT). Sa présence ne faiblit jamais des hauteurs projetées (Die Rosen aufgesprungen-Les roses ont jailli) aux abysses soutenus lorsqu’elle évoque le lit d’amour (Unserer Liebe Bett). Si elle semble se battre quelque peu face à l’intensité du son orchestral très fourni de Sommertag, elle préserve continuellement une émission résonante enrichie d’un vibrato ample lui permettant également des pianissimi chargés d’intensité (leise weht-souffle doucement).
A l’issue du concert les instrumentistes du London Symphony Orchestra applaudissent leur directeur musical (depuis 2017) qui se faufile entre les pupitres pour les remercier sous l’ovation du public de la Philharmonie.
Après Berg aux splendides jeux de timbres, une 7ème de Beethoven grisante d'articulations et de rythmes démentielles @londonsymphony Simon Rattle pic.twitter.com/j5pzA82AUe
— Florian Dintilhac (@flodintilhac) 26 janvier 2020