Mam'zelle Nitouche sans escarmouche à Marseille
Contemporain de Jacques Offenbach, Louis-Auguste-Florimond Ronger (dit Hervé) est l’auteur de plus d’une centaine d’ouvrages lyriques, et le père de l’opérette. Il narre dans Mam’zelle Nitouche (1883) ses propres débuts dans le vaudeville (organiste à Saint-Eustache, il allait le soir jouer l’acteur lyrique au théâtre de Montmartre), une vie extraordinaire en soi mais une intrigue assez ordinaire dans le genre des comédies, avec une grande clarté d’intrigue (le livret est signé des habitués du genre, Henri Meilhac et Albert Millaud). La mise en scène de Carole Clin (qui suit de peu, pour cette oeuvre pourtant rare, la version de Pierre-André Weitz) choisit donc un grand classicisme, notamment les décors tout gris du premier acte, qui facilitent la concentration sur l'action. À l'inverse, l’Acte II est pimenté par certaines trouvailles comme le rideau qui s’ouvre alors que les acteurs sont de dos : ils saluent, en miroir, le public virtuel de la pièce musicale qui se trouve de l’autre côté (théâtre dans le théâtre). Parfois, les effets sont un peu simplistes, comme les bonnes sœurs qui se cassent la figure sur un bas de porte, à chaque sortie (rires assurés, certes).
La satire porte sur les bondieuseries et les militaires essentiels à l'esprit XIXe siècle, mais l'opérette repose sur le personnage principal de Mam’zelle Nitouche qui mène une double vie : Célestin qui dirige la musique au couvent et se transforme chaque soir en Floridor après avoir "fait le mur". Toutes ses dimensions et caractères sont campés par le comédien ténor Jean-Claude Calon qui utilise une certaine finesse (là où Fernandel et Raimu s’affirmaient avec brio sur la scène ou au cinéma). Son numéro de chef d’orchestre, dans l’acte II, est un long one man show de veine comique. Son duo (dit « du soldat de plomb ») avec Denise est très savamment mené, équilibré, la voix étant toujours contrôlée dans ses couleurs et intentions, présente sans vouloir s'imposer ni jamais forcer le trait.
Endossant le costume de maître de musique vertueux et onctueux, il n’est pas sans avoir à la ville une maîtresse, Corinne, l’actrice principale de la pièce musicale qu’il produit. Elle est incarnée par Kathia Blas, qui joue avec justesse les fausses divas, affirmant avec une voix dramatique des bouts d’airs du grand répertoire. Mais Corinne cultive également ses talents sentimentaux avec un Major qui, quant à lui, n’apprécie guère d’être partagé. S’ensuivent des quiproquos qui animent l’intrigue (cela dit, pas de duels ni d’escarmouches). Philippe Fargues jubile dans ce rôle mais avec sobriété et vigueur. Sa voix assurée ponctue les passages chantés de précision et d'une constance justesse. Simone Burles s'investit à nouveau pour jouer un rôle d'utilité in loco (La Tourière en l'occurrence).
Grande, naïve comme il sied pour incarner Mam’zelle Nitouche, la voix de soprano et la diction de Julie Morgane ressortent avec netteté. Il est étonnant pour le public habitué de constater à quel point cette chanteuse est capable d’adopter des rôles différents voire littéralement à l'opposé (après le rôle de délurée de La Route fleurie en décembre à l’Odéon, et toujours dans la même salle, Cupidon d'Orphée aux Enfers, Marie d'Un de la Canebière, Pépa dans La Belle de Cadix, Pépi pour les Valses de Vienne : rappelant que les artistes sont aussi fidèles à l'Odéon que son public), d'autant qu'elle conserve son soprano raffiné et affirmé. Le ténor léger Alfred Bironien est constamment inventif en Marquis de Champlatreux, adoptant tour à tour un ton nasillard (lorsqu’il tente de connaître Denise qu'il souhaite épouser), ou une belle voix, sûre et plaisante de séducteur dès l’acte II.
Danièle Dinant, très à l’aise en Mère Supérieure, assure la cohésion du plateau par une présence et une voix affirmées. Antoine Bonelli, dans le rôle du Directeur de théâtre, impose sa stature au IIe acte. Sa voix éteinte et peu assurée fait toutefois contraste avec l’ensemble de la troupe, aux voix colorées.
La dizaine de choristes, appartenant au Chœur Phocéen, apporte son énergie vocale, et l’orchestre dirigé par Bruno Conti exécute quant à lui la partition sans anicroche (en particulier à la trompette, qui est pour une fois l’épine dorsale de la musique).
En somme, une Mam’zelle Nitouche fidèlement servie et rondement menée. Le public toujours acquis à la cause comique salue chaleureusement cette représentation.