L’Invitation au voyage d’Elsa Dreisig au TCE
« Morgen » signifie « Matin » ou « Demain ». C’est ainsi que s’intitule le dernier album de la soprano Elsa Dreisig, fraîchement paru chez Warner et dédié à la mélodie et au Lied à travers des œuvres de Duparc, Strauss et Rachmaninov. Un tel titre semble augurer de pièces pleines de vitalité, d’optimisme et d’espoir. Au contraire, la plupart inspire davantage le pincement de cœur, l’élan nostalgique, sur des tempi souvent mesurés. Et les « Tra-lia-lia-lia » sautillants du Joueur de flûte de Rachmaninov cèdent eux-mêmes peu à peu la place à une certaine langueur. Cette impression est soutenue par l’accompagnement instrumental, ici sous les doigts du pianiste Jonathan Ware. La réduction piano des Quatre derniers Lieder de Strauss comme l’écriture épurée de certaines pièces installent une atmosphère contenue, parfois austère.
Après une lecture de L’Invitation au voyage, poème de Baudelaire en guise d’introduction, Elsa Dreisig s’élance dans la version mise en musique par Duparc. Face au public, le pupitre à l’écart, elle captive l’attention de l’auditoire par des premiers aigus contenus et pudiques, mais frémissants sur les trémolos du piano. Le registre est celui de l’intime, et la voix avec aisance dessine des lignes sonores impeccables de justesse comme le paysage qu’elle décrit. Les légers glissandi dans les intervalles les plus éloignés assurent un legato inaltérable. Le premier refrain passé, la voix devient plus agitée, et les premiers forte la font basculer dans un registre opératique, alors que l’interprète tend ses bras vers le public. L’intime se fait plus rare, les pianissimmi manquant parfois à l’appel au profit d’une plus grande densité sonore. Reste une grande expressivité dans la voix qui bénéficie à chacune des pièces au programme, lesquelles, malgré une certaine homogénéité de ton, sont d’une belle diversité à l’oreille. L’habileté dans les répertoires comme dans les langues est saisissante. Et l’attention au texte se fait particulièrement sentir dans le phrasé et l’articulation (les chromatismes plaintifs de l’Extase toujours chez Duparc), avec un contrôle des respirations offrant du souffle à l’interprétation (Son de Rachmaninov).
Jonathan Ware montre un jeu d’une grande sobriété. Les lignes mélodiques sont empruntes de rubato, dilatant le rythme dans une langueur plus ou moins à propos (L’Étude-tableau de Rachmaninov aux quintes miroitantes erre quelque peu). L’équilibre sonore est bien établi, avec un chant cristallin nimbé de pédale. Constamment à l’écoute de la voix qu’il semble vouloir enrober de ses quelques accords, le pianiste reste dans l’excellence retenue de l’attaque naturelle.
Si le concert s’achève sur le sombre Soleil couchant (Im Abendrot, de Strauss), les interprètes, ovationnés et baignés d’un arc de lumière, viennent finalement entonner Morgen, ultime titre de l’album qui apporte un souffle d’espoir pour une fin de voyage en Rêve (Rachmaninov).