Le rideau de l’Opéra Bastille se relève pour les Contes d’Hoffmann
Lecture d’un texte de l’intersyndicale des artistes de @operadeparis après avoir annoncé avec une pointe d’émotion que la Direction était très heureuse que cette représentation puisse enfin se tenir.
La réaction du public évolue au fil de la lecture... pic.twitter.com/6hxOL4c5W0
— Freak McLyric (@FreakMcLyric) January 25, 2020
Un tollé inimaginable accueille le régisseur de scène venu
donner lecture d’un message de l’intersyndicale de l’Opéra en
ce soir de réouverture. Entre huées agressives et applaudissements
frénétiques, le discours est totalement évaporé, demeurant
inaudible pour la quasi-totalité du public présent. La
représentation en elle-même se déroule ensuite dans une
certaine forme de quiétude, voire même, par instants et par contraste, de monotonie.
La mise en scène de Robert Carsen, créée sur cette même scène il y a désormais 20 ans, a fait l’objet de plusieurs reprises sans perdre pour autant sa beauté esthétique d’origine et son acuité. Cette vision du « théâtre dans le théâtre », hommage aux fastes du Palais Garnier, a conservé toute sa séduction pour le public qui réagit toujours avec admiration à l’acte d’Antonia et à celui de Venise avec ces fauteuils de velours qui semblent voguer sur le Grand Canal. Mais pour parfaitement fonctionner, cette approche doit être soutenue notamment par une direction musicale dynamique voire surprenante s’agissant du rendu de la musique à chaque instant magnifique du compositeur.
Sir Mark Elder semble avoir choisi une voie transitoire, dans laquelle le froid l’emporte sur le feu. Tout est musicalement parfaitement en place, rodé -malgré quelques décalages avec les chœurs et à plusieurs reprises avec certains solistes, imputables essentiellement au contexte particulier de la soirée-, mais un rien en retrait. Ainsi les parties démoniaques ne ressortent-elles pas assez et l’intensité d’ensemble marque le pas, notamment à l’acte d’Antonia. L’Orchestre National de l’Opéra de Paris connaît la partition par cœur et lui confère son authenticité.
Jodie Devos s’empare avec délectation du rôle de la poupée Olympia, personnage quelque peu perturbé dans la mise en scène de Robert Carsen, voire un rien nymphomane. Elle s’amuse de bon cœur et conquiert d’emblée les faveurs du public. Avec d’habiles variations, elle aborde l’air fameux "Les oiseaux dans la charmille" avec toute la facilité d’émission requise, des assises nouvelles, un aigu et un suraigu de grande classe qui s’ajoutent à un ensemble de vocalises réjouissantes pour l’oreille.
Magnifique d’implication et comme emplie d’une fièvre retenue, Ailyn Pérez donne un relief très spécifique au rôle d’Antonia. La voix est conduite avec une rare habileté, la ligne vocale se pare d’une sensibilité et d’une délicatesse à fleur de peau, l’aigu s’épanouissant de façon souveraine. Son air "Elle a fui la tourterelle" s’impose comme le grand moment musical de la soirée, le plus réellement habité. Véronique Gens déploie toute la séduction attendue pour Giulietta, la courtisane, pourtant éloignée des ses incarnations habituelles. La voix se pare d’une sensualité et d’un panel de couleurs plus affirmées (et de grande classe au plan scénique). La Muse et Nicklausse offrent un boulevard à Gaëlle Arquez dont la voix ample de mezzo fort expressive et l’intelligence musicale se traduisent au mieux dans ce double rôle. Sylvie Brunet-Grupposo donne le meilleur de sa voix large et chaleureuse dans le rôle de la Voix, la mère défunte d’Antonia.
Côté hommes, Michael Fabiano (qui nous parlait de ce rôle en interview) offre une prestation inégale dans le rôle-titre. La voix est décidément large, capable de belles mais trop rares nuances, le legato apparaît souvent bousculé par une interprétation personnelle certes passionnée, profondément vivante, mais qui vient perturber trop souvent la ligne de chant en elle-même. L’aigu pourtant facile chez lui plafonne aux extrémités de ce rôle ô combien long et difficile.
Déjà présent dans les mêmes rôles -Lindorf, Coppélius, Dapertutto, Le Docteur Miracle- dans cette production en 2002, Laurent Naouri se délecte toujours d’incarner avec sa vibrante présence scénique ces rôles diaboliques, même si au plan vocal le temps a laissé son empreinte. La phrase est désormais plus abrupte, moins soutenue, notamment dans le rôle du Docteur Miracle, si exigeant pour l’interprète.
Philippe Talbot, en attendant son Georges Brown pour La Dame Blanche à l’Opéra Comique le mois prochain (réservations), se taille la part du lion dans les quatre rôles de valet, Andres, Cochenille, Pitichinaccio et Frantz dont il enlève l’air "Nuit et jour, je me mets en quatre" avec dextérité et un souci constant de la qualité de son chant. Savoureuses et réjouissantes prestations qui sont saluées avec effusion par le public.
Choix de luxe, Jean Teitgen campe un Crespel bouleversant. La voix aux sombres ardeurs ne demande qu’à s’épanouir un peu plus encore dans des rôles beaucoup plus importants à l’Opéra de Paris. Le plateau est complété par Rodolphe Briand, Spalanzani de grande tradition comique et Jean-Luc Ballestra, sonore Schlemil. Dans les rôles plus secondaires, Olivier Ayault, baryton (Hermann) et Hyun-Jong Roh, ténor (Nathanaël), tous deux membres du Chœur de l’Opéra, parviennent pleinement à se distinguer par deux voix caractérisées adroitement conduites.
C’est dire la qualité générale du Chœur et de ses ressources infinies. Il donne encore et toujours en salle, après la fougue des prestations grévistes sur les marches Place Bastille, le meilleur de lui-même, et plus encore, au sein de cette production des Contes d’Hoffmann.