Un grand Yes ! de plaisir à l’Opéra de Vichy
Voilà plus de trois ans que le public vichyssois n’avait pas eu l’occasion d’applaudir une opérette (la dernière en date étant La Belle de Cadix, à l’été 2016). C’est donc avec bonheur qu’est accueillie la Compagnie des Brigands qui, avec le Palazzetto Bru Zane, s’évertue depuis plusieurs semaines (le spectacle a été créé en novembre dernier à Versailles puis repris à l'Athénée) à faire redécouvrir Yes !, une œuvre de Maurice Yvain qui ne manque pas de sel. Par son livret tout d’abord, signé René Pujol d’après le roman Totte et sa Chance de Pierre Soulaine. L’histoire est celle de Maxime Gavard, fils du Roi du vermicelle et garçon volage, qui finit par accepter un mariage arrangé « à l’anglaise » pour ne pas avoir à épouser une Chilienne, comme imposé par l’autorité paternelle. Mais les époux "arrangés" finissent par s’aimer, évidemment, au fil d’une intrigue marquée par des situations burlesques à gogo, des facéties multiples et des échanges sans cesse savoureux, les drôlatiques lyrics (paroles mises en rimes) étant signés Albert Willemetz (passé à la postérité, notamment, pour avoir signé les paroles du fameux Félicie aussi de Fernandel).
Une opérette pleine de légèreté, donc, servie en l’espèce par une mise en scène collant tout à fait à l’esprit du livret. Vladislav Galard et Bogdan Hatisi jouent la carte du peu d’emploi d’effets matériels sans que la scénographie n’en souffre en termes de couleurs et de dynamisme, bien au contraire. Hors les instruments (l’œuvre est ici donnée dans une version pour trio jazz, et non pour deux pianos comme écrit à l’origine), seuls quelques objets traînent sur la scène, ici des chaises, là un hamac ou un fauteuil roulant, et c’est bien davantage par les mouvements incessants des personnages que cette mise en scène trouve vie et énergie. Ainsi, les occasions de rire sont-elles légion devant un festival de cocasseries mené par des personnages soit court vêtus, soit portant des costumes absolument risibles, comme ce Roi du vermicelle arborant un pyjama à la façon d’un costume chic, ou cette caricature d’une autochtone amérindienne semblant tout droit sortie d’un pow-wow. La qualité (et la diversité) des costumes signés Benjamin Moreau contribue très largement à ravir l’œil tout au long d’un spectacle où échanges parlés et airs chantés se succèdent sans guère de temps morts, l’investissement scénique total (et sportif) des comédiens-chanteurs y étant pour beaucoup.
Remarquée et touchante Totte
Clarisse Dalles brille en campant une Totte candide et sensible, portée par une voix pleine, ample, également fruitée et sonore dans l’ensemble des registres. Le grand air du rôle, « Yes ! », aux frontières du récit et du chant, est livré avec tout l’élan et la musicalité nécessaires. Sous les doubles traits de Clémentine et de Loulou (puis de Lady Wincheston), Caroline Binder se distingue par un timbre de voix clair et chatoyant, mais surtout par un jeu de scène incessamment dynamique, trouvant son apogée dans l'inénarrable air « Moi, je cherche un emploi » (popularisé en son temps par Arletty) interprété avec la frivolité et l’ingénuité de circonstance. Avec sa voix bien audible et aux intonations très groove, Emmanuelle Goizé est une Marquita Negri tout aussi énergique, voire franchement excentrique, qui endosse avec gourmandise les habits d’une mangeuse d’hommes au look et aux mœurs exotiques.
Sous les habits, ou plutôt dans le peignoir de Maxime Gavard, Célian D’auvigny est une belle caricature du fils à papa immature, vivant de débauche et d’amours changeants (avant de céder aux flèches de Cupidon). La voix, légère mais enjouée, est celle d’un comédien sachant chanter avec un réel souci de la diction et, surtout, une générosité scénique de chaque instant. Généreux, Mathieu Dubroca et Flannan Obé le sont tout autant. Le premier campe un César aussi drôle que touchant dans son ambition politique (il est candidat aux législatives pour le Parti Communiste dans le 16e arrondissement), avec un timbre de baryton vibrant, aux contours emplis de sensibilité musicale. Le second est un Roger puis un Régor tout feu tout flamme, comédien-chanteur (et danseur de claquettes !) pour l’exécution d’un tel rôle. En père de Maxime, Eric Boucher suscite l’hilarité à bien des reprises dans son rôle de paternel à l’autorité risible. Portant haut et fort, la voix de ce Roi du vermicelle est cependant bien plus épanouie dans les passages parlés que dans les airs chantés, où elle a tendance à devenir par trop monocorde. Enfin, avec sa voix pleine et colorée, joliment projetée en outre, Anne-Emmanuelle Davy est une exquise madame de Saint-Aiglefin, dont le mari est joué par un Gilles Bugeaud nanti d’une voix de basse qui, quand elle ne hoquette pas (mais ainsi le prévoit le livret), présente des traits joliment râblés.
Un casting vocal énergique, donc, qui contribue autant à la pleine restitution de la partition que le trio de musiciens formé par Paul-Marie Barbier (piano et vibraphone), Matthieu Bloch (contrebasse) et Thibault Perriard (percussions et piano). Avec sensibilité, doigté et polyvalence, et en fusion avec les chanteurs, ces trois-là prennent un plaisir communicatif à exécuter une musique marquée par l’influence du jazz, c’est-à-dire rythmée, colorée, et donnant toujours l’envie de claquer des doigts ou de taper du pied comme pour mieux en apprécier le côté enivrant.
Enivré, le public vichyssois l’est d’ailleurs assurément après deux heures d’un spectacle vif et coloré, applaudi chaleureusement et qui poursuit sa tournée Yes ! dans toute la France jusqu’au 31 mars prochain.